L’Évangile d’aujourd’hui est déconcertant. On y entend l’histoire d’un gérant malhonnête qui, sur le point d’être renvoyé par son maître, manipule les comptes pour s’assurer une position de repli. Et Jésus, loin de le condamner, loue son « habileté ». C’est troublant, n’est-ce pas ? Mais attention : Jésus ne loue pas l’honnêteté du gérant, puisqu’il le qualifie lui-même de « malhonnête ». Ce que Jésus met en lumière, c’est son sens de l’urgence et sa créativité. Le gérant a compris qu’il n’avait plus beaucoup de temps et il a agi avec audace pour assurer son avenir.
Jésus veut nous bousculer et il nous interroge : si un homme de ce monde peut être si ingénieux pour sa survie matérielle, pourquoi nous, « les enfants de la lumière », serions-nous moins astucieux pour les choses de l’esprit ?
Jésus nous rappelle une vérité essentielle : devant Dieu, nous sommes tous des gérants et non des propriétaires. Tout ce que nous avons – notre vie, nos talents, nos biens, mais aussi notre foi, la grâce du baptême, les dons de l’Esprit Saint – nous a été donné par Dieu. Nous ne possédons rien, nous gérons seulement ces biens. Pensez à un jardinier qui s’occupe du jardin de quelqu’un d’autre. Il n’est pas propriétaire, mais il est responsable de ce jardin. Il doit l’entretenir, l’arroser, le faire fleurir. Si le jardinier ne fait rien et laisse le jardin à l’abandon, la nature reprendra ses droits, et le jardinier sera un mauvais gérant.
De même, Dieu nous a confié un jardin rempli de grâces. Si nous le négligeons, si nous laissons nos talents s’enterrer et nos cœurs s’endormir, nous gaspillons le cadeau le plus précieux : la vie en Christ. Dieu attend de nous que nous fassions fructifier ce trésor.
La leçon la plus forte de cette parabole est un appel à l’action. Le gérant a agi vite, sachant que son temps était compté. Il n’a pas attendu le lendemain, il a agi maintenant. Et nous, les « fils de la lumière », ne passons-nous pas trop souvent à côté de l’essentiel ? La facilité de notre quotidien, les distractions de ce monde, peuvent nous donner un faux sentiment de sécurité. Nous oublions que la vie est courte et que l’heure de la rencontre avec Dieu approche.
Le gérant s’est fait des amis en échangeant de l’argent. Jésus nous invite à faire de même, mais avec ce qui compte vraiment : l’amour, la bonté, le service. « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête », dit-il. C’est-à-dire : servez-vous des biens de ce monde – vos relations, votre temps, votre énergie – pour un but plus grand, celui de la vie éternelle.
Comment ? Si un « fils des ténèbres » est capable d’organiser un repas d’affaires pour sa survie, pourquoi ne serions-nous pas capables d’organiser une rencontre fraternelle pour construire l’unité ? Si un homme d’affaires sait investir de l’argent pour le faire fructifier, pourquoi ne serions-nous pas capables d’investir notre temps pour visiter une personne seule ? Si un manipulateur sait user de son charisme pour obtenir ce qu’il veut, pourquoi ne serions-nous pas capables d’user de nos talents pour le service des plus pauvres ?
Le gérant a agi pour se faire accueillir. C’est l’essence de notre foi : la vie chrétienne n’est pas une aventure solitaire. Au dernier jour, nous serons jugés sur notre capacité à nous lier les uns aux autres par le lien de l’amour. Notre habileté, c’est de nous faire des amis pour la vie éternelle.
Soyons astucieux dans notre foi. Soyons ingénieux dans notre charité. Que notre amour soit aussi concret et efficace que les actions de ce gérant malhonnête. N’ayons pas peur d’utiliser les moyens de ce monde au service du bien, pour répandre la bonté, le pardon, la tendresse.
Au bout du chemin, le Père nous dira : « Tu as été un bon intendant de mes grâces. Entre dans la joie de ton Maître. » Et le Christ, notre Seigneur, ne nous appellera plus serviteurs, mais amis.