Chers frères et sœurs, nous voici montés au temple pour prier. Saint Paul nous invite à nous tenir debout devant le trône de Dieu, dignes de prier le Père des lumières, de l’implorer pour tous nos besoins, dignes aussi de le louer pour le don de la foi. Debout, devant Dieu, car nous sommes appelés ses enfants. Nous prions non pas en invoquant nos mérites, mais en invoquant le Christ notre Seigneur qui invite les pécheurs à son festin de noces. Personne ne peut s’enorgueillir, car tous nous sommes graciés. Aimés.
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Ils montaient au temple. Il ne faut pas s’imaginer, chers frères et sœurs, que ces deux hommes de l’Évangile sont allés dans une église de leur village. Dans une synagogue locale. Non, on nous dit clairement qu’ils sont montés au Temple. Au Temple de Jérusalem ! Aller au temple, ou monter au temple, c’était pour beaucoup de juifs un voyage de plusieurs jours. Si en effet nous regardons où se trouve Jésus au moment où il raconte cette parabole, nous le voyons justement encore loin de Jérusalem, probablement sur la route de Jéricho. On nous dit que Jésus traversait la Samarie, la Galilée et qu’il s’approchait de Jéricho. Ce ne sont donc pas ceux de la ville de Jérusalem qui ont entendu la parabole, mais ceux qui avaient l’habitude de monter à Jérusalem par un chemin long et périlleux. Une fois, ou plusieurs fois dans l’année, ils préparent leur voyage de quelques jours, pour aller prier dans le Temple.
Pour nous rendre ce texte un peu plus contemporain, imaginons-nous que ce temple lointain est la basilique du Sacré-Cœur à Paris. Pour aller prier dans ce temple là, vous prenez Ouigo ou le TGV, vous passez 3h dans le train, vous descendez Gare de l’Est, vous prenez le boulevard Magenta, ou vous prenez le métro, puis vous montez la colline de Montmartre, jusqu’à la basilique du Sacré-Cœur.
Pendant ce long trajet vous avez beaucoup de temps pour penser qu’est-ce que vous allez dire au Bon-Dieu. Dès le matin, au petit déjeuner, vous avez pu commencer votre méditation en réfléchissant à ce qui fait vraiment votre vie. Les choses se résument, prennent forme, vous méditez, vous cherchez les mots. Vous avez aussi le temps de regarder autour de vous. Dans le train, les gens qui voyagent avec vous. Vous scrutez leurs visages, leur comportement, leurs habitudes. Votre voyage au Sacré-Cœur de Montmartre, au Temple, pour prier, c’est un voyage au fond de vous-même, là où vous rencontrez vos idées sur les autres, sur vous-même, vos convictions.
Puis dans le métro parisien par exemple, vous avez peut-être dit : “Oh mon Dieu, heureusement que j’habite à Strasbourg. Vraiment, je ne suis pas comme ces parisiens, qui courent à droite à gauche, qui ne se regardent même pas. Moi je connais bien mes voisins, oh mon Dieu, je leur dis bonjour chaque jour, même trois fois par jour ! J’ai un jardin et un parc juste à côté, mes enfants vont dans une école normale – il y a de la religion – et mon chien aussi est normal ! Pas comme ces mini bêtes du 17ème.”
Voilà le pharisien (non pas le parisien) et le publicain, ces deux croyants, entrent, après leur périple, dans la basilique du Sacré-Cœur. Ils sont montés dans le Temple en même temps, mais un continue encore de monter, en soi-même, alors que l’autre commence en ce moment de s’abaisser. Le pharisien se met au centre, devant le Saint-Sacrement, et il continue mijoter dans sa tête : “… et heureusement que je ne suis pas comme ce publicain, que j’ai croisé dans la porte et qui était habillé vraiment bizarrement. Et que je ne suis pas non plus comme cette mamie dans les bancs en avant, qui a visiblement perdu la tête, car elle prie en chuchotant.”
Tout ça c’est vrai, n’est-ce pas, chers frères et sœurs ? Ça nous arrive, non, quand nous allons même ici au Mont-Saint-Odile ? Bien sûr que c’est la vérité. Mais le pharisien aussi ne mentait pas. Il disait ce qu’il vivait ! Et le publicain aussi ne disait rien d’irréel. Nous ne savons pas si sa seule faute était de collaborer avec les romains, ou si de surcroît il fraudait sur les impôts. Ce que nous savons par contre, chers frères et sœurs, c’est qu’il n’était pas orgueilleux !
Vous savez dans le temple de Jérusalem, au centre, ou plutôt au centre de l’esplanade la plus importante, se trouvait la shekina, le saint des saints. C’était, pour les juifs, le centre du monde. La demeure de Dieu sur la terre, la demeure de son nom, de sa présence. C’est devant ce centre du monde que les deux hommes priaient. N’avez-vous pas l’impression, qu’au moment où le pharisien parle, ce centre du monde était un peu mis à mal ? Comme si d’un coup il y avait non pas un, mais deux centres du monde ! Un centre du monde véritable (où Dieu habite) et un illusoire (où se tient le pharisien). Puis une tension tragique entre eux… L’amour excentrique et l’amour concentrique, l’amour pour l’autre et le dégoût de l’autre. Dans sa prière, le pharisien tourne autour de lui et tout tourne autour de lui, c’est lui la mesure de toute chose, c’est lui qui se mesure lui-même et qui n’attend plus rien de Dieu. Voyez-vous comment Dieu souffre de ne plus pouvoir rien accorder à ce pauvre homme ? Voyez-vous comment cet homme condamne Dieu à la solitude et comment il se condamne à la solitude lui-même ? En effet, deux hommes montèrent au Temple. Un, pour ne rien demander à Dieu et l’autre, pour tout Lui demander.
Chers amis, le publicain redescendit dans sa maison justifié. En effet, sa montée dans le Temple de Jérusalem était une descente progressive. Nous pouvons nous imaginer aussi son itinéraire, mais disons seulement que le publicain redescendit d’abord en lui-même (comme le fils prodigue), au fond de sa misère, puis il redescendit justifié dans sa maison. Devons-nous avoir envie, chers frères et sœurs, de savoir est-ce qu’il était en suite fidèle à sa contrition ? Non. Laissons-lui sa liberté devant Dieu et apprenons seulement une chose : il est devenu un homme juste, plutôt que l’autre.
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