Seulement trois fois dans tous les évangiles on utilise le verbe grecque diestemi = se séparer. Aujourd’hui, on dit de Jésus : tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et il était emporté au ciel, puis on dit en Luc 22 qu’une heure s’était écoulée et puis, dans les actes des Apôtres, on le dit d’un bateau qu’il avança un peu plus loin. Nous pouvons en conclure que l’Ascension n’est pas une séparation, mais un avancement, un avancement au large. Un avancement vers l’unité plus grande encore. Le terre et le ciel sont aujourd’hui réconciliés dans le Christ. C’est cela notre joie et nous allons le célébrer en ce jeudi, quarante jour après la Pâque.
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Il n’y a pas de chose plus humaine, cher frères et sœurs, que de regarder vers le ciel. L’homme est devenu humain probablement à ce moment-là; lorsqu’il a levé les yeux vers un ciel rempli d’étoiles et la crainte est née dans son cœur. La crainte et l’émerveillement devant le mystère… Le ciel, toujours visible au-dessus de nous, omniprésent et pourtant inatteignable. C’est du moins la vision la plus primitive et la plus fondamentale dont nous sommes tous les héritiers en quelque sorte. Devons-nous revivre cela ? Peut-être. Mais la fête d’aujourd’hui nous conduit à revoir un peu cette vision. Nous devons regarder le ciel d’une manière nouvelle. L’ange qui visite les apôtres en a la clef. Comme ils fixaient encore le ciel, il leur dit: Pourquoi restez-vous debout à contempler le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel.
Les apôtres ont contemplé le ciel à la manière ancienne. Ils ont regardé ce « vieux » ciel : inaccessible et à vrai dire, anonyme. Abasourdis, terrifiés, immobilisés par la puissance du mystère qui se déroule sous leurs yeux, comme Israël au mont Sinaï, lorsque le Seigneur descendit et monta dans une nuée d’éclairs, avec le tonnerre d’une tempête. Le peuple n’osa même pas respirer de peur. Voilà le ciel, voilà le paradis inaccessible, lointain et terrible, plein des mystères qui se reflètent dans l’âme de l’homme… En effet, depuis le philosophe Kant nous savons que ce même émerveillement et terreur advient lorsque l’homme baisse ses yeux et regarde en lui-même ! Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi, dit-il. L’infini résonne en nous. Du coup il faut considérer ceci également à l’envers : le ciel vide égale un cœur vide. Ou, comme le suggère l’ange : un ciel vieux égale un vieux cœur, un ciel anonyme un cœur seul.
Chers frères et sœurs, l’ange attire donc l’attention des apôtres – et notre attention – vers Jésus : Ce Jésus, dit-il aux Apôtres. Oui, ce Jésus a parcouru l’univers humain et son Ascension est le sceau de toute son œuvre qui devient désormais eschatologique. Jésus atteint son but. Ce n’est pas un lieu quelconque, c’est une nouvelle réalité !!! Il quitte définitivement le vieux monde pour revenir dans la gloire d’un monde nouveau ! Comme nous le lisons dans le livre de l’Apocalypse: Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu ! Ou, comme le dit le Seigneur lui-même : Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. C’est pourquoi ce dialogue entre l’ange et les apôtres est un dialogue au sujet du ciel vieux, le ciel vide, éphémère, et celui qui est nouveau et habité ! L’ange nous invite à contempler ce ciel et c’est Jésus.
Rappelons nous cette petite histoire drôle de l’ère soviétique: Valentina Terechkova, la première cosmonaute de l’histoire, a été invitée pour parler de son voyage sur l’orbite aux enfants d’une école paysanne. La directrice de l’école dit alors: Laissez la camarade Terechkova nous dire. A-t-elle vu Dieu dans le ciel quand elle était là ? La cosmonaute répond avec un large sourire : Non, je n’y ai pas vu Dieu ! Le ciel est vide ! Et qu’en pensez-vous, les enfants ? À quoi une élève répond : Le Seigneur a dit : Heureux ceux qui ont le cœur pur, ils verront Dieu !
Jésus, chers frères et sœurs, n’est pas au ciel, mais c’est Jésus qui est le ciel nouveau. Comme le dit la lettre aux Ephésiens : Dieu l’a établi au-dessus de tout être céleste : au-dessus de tout nom que l’on puisse nommer, non seulement dans le monde présent, mais aussi dans le monde à venir. Il a tout mis sous ses pieds et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps. Aussi Sainte Hildegarde von Bingen, dans une de ses visions, décrit comment le cosmos tout entier a pris la forme du corps humain du Fils de Dieu. Elle suggère qu’avec l’Ascension, Jésus devient ce ciel véritable. Ciel qui prend la forme d’un corps humain, avec un cœur humain. Oui, le paradis nouveau a un nom : c’est Jésus ! La nouvelle réalité, c’est le Christ ! Le Fils de Dieu, conçu dans la chair humaine et maintenant à la droite du Père, et il attire tout à lui, dans l’Esprit Saint.
Comme pour les disciples d’Emmaüs, Jésus disparaît de notre vue, tout en restant pour toujours avec nous, jusqu’à la fin du monde. Apprenons à regarder ce ciel nouveau ! Apprenons y reconnaître Jésus, uni à son Épouse, uni à son corps qui est l’Église. Chers frères et sœurs, c’est avec assurance que nous pouvons entrer dans le véritable sanctuaire grâce au sang de Jésus : nous avons là un chemin nouveau et vivant.