Le monde souffre. L’anxiété est partout.
Le poids de la souffrance semble toujours plus pesant,
et rien ni personne semble pouvoir y remédier.
Combien de pays ne sont-ils pas déchirés par la guerre ou la violence extrême ?
Combien d’hommes, de femmes et d’enfants souffrent-ils de la faim, du manque d’espérance, ou conditions de vie désastreuses…
Le monde souffre,
et devant tant de non-sens, de cœurs déchirés, et de sang répandu,
nous ne voyons plus trop ce qui pourrait nous sauver du mal toujours en croissance.
Les habitants du monde se retrouvent comme le peuple d’Israël dans sa marche à travers le désert :
à bout de courage…
Dans le désert, le peuple alors ne peut pas se cacher de sa responsabilité :
Nous avons péché contre le Seigneur, disent-ils. Que le Seigneur éloigne de nous les serpents.
Le Seigneur dit à Moïse : Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d’un mât :
tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! (Nb 21,4.9)
Remarquons que le Seigneur ne répond pas directement à la demande du peuple :
il n’éloigne pas les serpents.
Au contraire, quand un homme est mordu par un serpent,
il doit regarder vers le serpent de bronze qui a été élevé, et alors, il conserve la vie.
Dieu donne ainsi au peuple un moyen pour résister au mal.
On pense à ce que Dieu avait dit à Caïn :
Le péché est tapi à ta porte. Il est à l’affût. Mais toi, domine–le. (Gn 4,7)
Dominer le mal, voilà donc le sujet.
L’évangile nous dit aujourd’hui :
De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,
afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle.
De même… ainsi : Jésus fait ici une analogie directe.
Il affirme que son élévation sur la croix est le remède qui nous est donné aujourd’hui
pour que nous puissions dominer le mal et être sauvés.
Devant le mal qui détruit l’homme, Dieu a donc donné une réponse.
Cette réponse, c’est Jésus en croix.
Jésus mort pour nous, et dressée à la vue de tous.
Depuis ce jour où la croix du Golgotha a ouvert le ciel de Jérusalem,
voici qu’elle demeure plantée devant nous jusqu’à la fin des temps.
La croix est un remède qui n’éloigne pas le mal, mais qui nous donne de le dominer.
Il nous faut donc voir comment.
Pour cela, la fête de ce jour – la Croix glorieuse – associe la croix et la gloire.
Là où apparaît d’abord la souffrance, la laideur, et la mort comme un scandale,
la grâce de Dieu veut ouvrir nos yeux pour que nous y voyions la gloire
et que nous la saisissions à bras le corps.
Paul, dans la lettre aux Philippiens, nous introduit à la profondeur de ce mystère.
L’hymne primitive qu’il cite est composée de deux parties.
Deux parties qui s’articulent comme en un dialogue d’amour entre le Père et le Fils.
Dans la première partie,
le Christ Jésus ne retient pas la gloire qu’il possède en tant que Fils unique :
il se dépouille, il s’humilie, il s’anéantit même.
Lui qui vient de Dieu,
il descend du ciel pour prendre la condition humaine,
c’est-à-dire cette condition de misère qui ploie sous la souffrance.
Devant cette souffrance qu’il a endossée,
le Fils, devenu un homme comme nous, ne se rebelle pas :
il s’abaisse encore plus profondément en devenant obéissant jusqu’à mourir sur la croix.
Viens alors la deuxième partie de l’hymne.
Au don radical que le Fils a fait de lui-même, le Père répond par un don d’amour immédiat.
Le Père exalte son Fils, il l’élève au dessus de tout.
De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, disait aussi St Jean.
Pour ses bourreaux, Jésus dressé en croix est humilié à la face du monde.
Pour Dieu, cette élévation est la manifestation de sa glorification.
La gloire et la croix…
« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! » dira saint Irénée au 2ème siècle.
Pour nous, désormais, l’accès à la gloire et à la vision de Dieu,
c’est la croix, jusqu’à la fin des temps.
Par la croix, Jésus ouvre un chemin, un passage vers un autre état de vie.
Ce chemin est fait d’obéissance, d’humilité, d’abaissement.
Mais non pas de faiblesse : il est au contraire la manifestation de la puissance de l’amour
et de la puissance de la foi.
En s’en remettant totalement à son Père,
Jésus manifeste que la Vie en plénitude ne peut venir que de Dieu.
Nous étions tenté de fuir la souffrance, nous demandions qu’elle s’éloigne de nous.
En Jésus, Dieu nous invite à la regarder en face,
et à la traverser par le moyen de la foi.
Le mal nous dominait, il nous asservissait par la peur de souffrir.
La croix du Christ nous donne de dominer le mal.
Elle nous donne l’assurance que Dieu ne nous a pas abandonné,
mais au contraire qu’il nous donne accès à sa gloire
sur le lieu même des apparentes victoires du mal.
Bienheureuse croix glorieuse, porte qui ouvre à la vie en plénitude,
remède contre la peur et la paralysie mortelle…
Par la croix, l’amour se révèle dans toute sa force :
non pas un amour doucereux qui nous garderait encore lié dans une forme de chaos,
mais un amour qui libère, qui élève,
qui rend vainqueur et capable d’un amour libre en toute circonstance.
Pour autant, la révélation de la croix demeure un mystère,
nous n’aurons jamais fini de le contempler et d’entrer en ses profondeurs.
La croix est plus large que n’importe quel raison humaine.
Mais dès à présent, en contemplant celui que nous avons transpercé,
nous découvrons peu à peu en un même rayon de lumière
le poids de notre péché et l’insondable amour qui nous en délivre.
Aujourd’hui, nous fêtons aussi l’anniversaire de 30 ans de présence des frères et des sœurs de Jérusalem.
La vocation des frères et des sœurs de Jérusalem se situe précisément au lieu de la croix,
c’est-à-dire à l’intersection entre le monde souffrant et la gloire de Dieu.
En cherchant Dieu dans le monde, dans la ville, et unis à tous nos contemporains,
nous sommes plantés là où le Seigneur a planté sa croix.
Au cœur du monde tel qu’il est, nous sommes sûrs de rencontrer le Christ,
lui qui est justement venu chercher et sauver ce qui était perdu et ceux qui souffrent.
Habitants nous-mêmes ce monde de souffrance,
et nous faisant frères et sœurs de tous les autres habitants,
nous cherchons à nous engager sur le chemin que Jésus a lui-même ouvert :
chemin d’humilité et d’abaissement, de confiance en Dieu et de foi.
C’est sur ce chemin qu’une source est promise.
Cette source jaillit de la brèche ouverte par la croix.
Puisse-t-elle jaillir au milieu de nous, dans cette ville de Strasbourg,
et désaltérer le monde qui a soif de Vie.