Dans la chair manifesté
Homélie de fr. Grégoire  |
le 2 février 2025  |
Texte de l'évangile : Lc 2, 22-40

La fête de la Présentation de Jésus au Temple procède d’une révélation :
l’événement, en effet, nous dévoile qui est Jésus,
et peut-être aussi qui est Dieu.

Le récit de l’évangéliste Luc a été écrit avec une extrême précision,
et sa richesse est immense.
Il faudrait mettre en évidence comment Luc montre que Jésus,
alors qu’il n’est qu’un tout petit enfant d’une semaine,
accomplit déjà la Torah, c’est-à-dire la Loi de Dieu, par sa seule présence.
Mais c’est encore trop peu : Jésus est ici révélé comme étant, en sa personne,
la Torah nouvelle et le Temple nouveau.

Aujourd’hui, je vous propose néanmoins de contempler l’événement sous un autre angle :
celui de la manifestation de Dieu dans la chair,
selon ce que développe la lettre aux Hébreux dans la deuxième lecture :
Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition. Il lui fallait se rendre en tout semblable à ses frères.
Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion,
il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve.
Il apparaît aujourd’hui que la chair, c’est-à-dire la vulnérabilité humaine,
est précisément le lieu où Dieu veut manifester sa Présence et sa gloire.

Le Fils de Dieu est donc présenté dans le Temple de Jérusalem,
c’est-à-dire dans le lieu de la Présence de Dieu pour le premier testament.

Au titre de la Torah, tout fils premier-né devait être présenté au Seigneur.
Mais le lecteur de l’évangile de Luc sait déjà que ce premier-né n’est pas un enfant quelconque.
Il a été engendré par l’Esprit Saint, et il est l’Envoyé du Père pour sauver Israël.

Apprenant qu’il va être présenté au Temple, on s’attend tout naturellement
à une intervention divine : il ne peut que se passer quelque chose.

On connaît aussi la prophétie de Malachie,
celle que nous avons écoutée en première lecture :
Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez ;
le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient, dit le Seigneur.
Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ?

Quelle va être la manifestation divine au moment où l’enfant Jésus va entrer dans le Temple ?

Il faudrait au moins qu’il soit reçu par le Grand-Prêtre ou par quelque prestigieux personnage.
On devrait assister à une théophanie, une Parole et une manifestation venues du ciel.
Sans doute avec du feu (Malachie parle du feu du fondeur qui doit purifier et affiner les fils de Lévi)
ou au moins par une puissante lumière.

En tout cas, quelque chose de l’ordre d’un bouleversement cosmique,
un peu comme au Sinaï quand Dieu a donné les Tables à Moïse.

Rien de tout cela !
Nous l’avons compris : le texte nous prend complètement à revers.

Ce jour-là, au Temple, celui qui reçoit l’enfant n’est même pas prêtre.
C’est un simple fidèle.
Il n’a vraiment rien de prestigieux. C’est simplement un vieillard qui espère en son Dieu.
Un petit du peuple, en quelque sorte.

En Israël, on les appelle des Anawim, les pauvres du Seigneur.
Les Anawim, se sont littéralement les courbés, les inclinés,
ce sont les faibles et les humbles…
Le type de l’anawim est l’israélite déporté à Babylone, affligé par l’exil, dépossédé de tout.

Syméon est de ceux-là.
C’est un juste, mais il n’a plus rien. Il est dépouillé de tout,
et la seule chose qui lui reste, c’est son cri vers le Seigneur :
il attend la consolation.

Il n’a plus rien, donc. Plus rien à défendre et plus rien à sauvegarder.
En cela, il est devenu libre et tout disponible.
Si bien que l’Esprit Saint s’en donne à cœur joie !

Vous avez remarqué, il est dit coup sur coup :
que l’Esprit était sur lui,
qu’il a reçu de l’Esprit qu’il ne mourrait pas la mort avant d’avoir vu le Messie,
et qu’il se rend au Temple sous l’action de l’Esprit.
Syméon n’a rien, et il reçoit le Don par excellence : il a l’Esprit de Dieu.

Aussi Dieu parle à travers lui.
Il ne s’agit pas ici d’une voix qui déchire le ciel comme au baptême,
mais d’un anawim qui prophétise.
Dieu se manifeste par la médiation prophétique d’un pauvre.

La prophétie de Syméon est double.
D’abord il prend l’enfant dans ses bras,
et à travers sa chair de vieillard
qui a enduré tant de souffrances et pleinement mesuré sa vulnérabilité,
Syméon reconnaît la chair en ce tout-petit, un vrai fils d’homme,
et pourtant la chair vivifiée et traversée par l’Esprit.

En cet instant, Syméon est lui-même habité par l’Esprit.
Il reconnaît immédiatement que l’enfant est Celui qui a l’Esprit-Saint,
il est le Christ en personne.
Cet enfant qu’il porte est le Porteur de la Lumière divine.
Celui qu’il reçoit dans ses bras est le Don de Dieu fait à l’humanité pour la sauver.
Le Don d’une humanité accomplie, une humanité divinisée.

Les yeux du vieillard sont assombris par l’âge et la cécité,
mais ces yeux voient le salut
avec la certitude de celui qui avait attendu ce moment depuis toujours.
Il sait.

Il sait et il comprend,
bien plus que Marie et Joseph ne peuvent comprendre à ce moment.

Il fallait un cœur usé par l’attente et visité par l’Esprit
pour comprendre que Jésus, tout nouveau-né qu’il est, inaugure le Royaume de Dieu,
et que ce Royaume va susciter les contradictions et les oppositions.

C’est comme si la prophétie de Malachie se réalisait
d’une manière qu’on n’aurait jamais pu imaginer :
Oui, la purification annoncée va se réaliser, Israël va être passé au creusé du feu.
Mais ce n’est pas par la puissance d’un dieu justicier, bien plutôt par la puissance de sa miséricorde.

Oui, il va être difficile de soutenir la venue du messager,
car pour entrer dans le mystère, il faut un cœur de tout-petit, dépouillé comme celui de Syméon.
Dieu a choisi de vaincre la puissance du Mal en se livrant dans la faiblesse de la chair,
et seul un anawim comme Syméon pouvait approcher ce mystère avant l’Heure de la croix.

La Présentation dévoile ainsi le lieu dans lequel Jésus s’engage pour apporter le salut.
C’est le creuset de la vulnérabilité, de la petitesse de la chair.
Luc avait pris soin de nous montrer l’entrée dans le monde de ce nouveau-né
emmailloté dans une mangeoire.

De la même manière, qu’il est entré dans le monde,
il entre maintenant dans son Temple par la petite porte.
Il se contente de l’offrande des pauvres – deux petites colombes –
il est reçu par un vieillard pauvre et par une vieille veuve, Anne, qui ne sait plus que louer Dieu.

Le texte s’achève ainsi :
L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
En Jésus, vrai homme et vrai Dieu, l’humanité grandit en même temps que la grâce.
Ne devrait-on pas dire que la grâce se déploie à la mesure de son humanité, dans sa chair ?

Désormais, l’humanité de Jésus, dans sa vulnérabilité et son extrême pauvreté,
est le lieu de la Présence : il est le Temple nouveau.
La chair est le lieu de la manifestation : c’est dans la chair que Dieu se laisse rencontrer.

Désormais, cette humanité de Jésus est le lieu où Dieu nous enseigne tout.
Jésus est la Torah nouvelle.
En voyant l’enfant, Syméon a vu le salut. Il a vu la Sagesse éternelle.
Il a vu le chemin qui conduit à la Vie éternelle.
Il n’y a plus d’autre commandement que la sainte humanité de Jésus.
Jésus est la Torah qu’il nous fallait.

La fête de la Présentation a été choisie comme journée mondiale des consacrés.
Nous comprenons bien, dès lors, que la vie consacrée ne peut être autre chose
qu’une vie pleinement humanisée, une vie pauvre et profondément simplifiée.

Le ou la consacré(e) n’est pas conduit vers une vie hors de son humanité.
Tout au contraire, le chemin de la vie consacrée est une marche à la suite de l’humanité de Jésus.
Cette marche oblige à plonger dans la chair, dans cette vulnérabilité humaine radicale.
Le consacré devra être immergé dans cette radicale pauvreté jusqu’à s’y perdre.

Car en s’y perdant, il trouve Dieu.
Il rencontre la Présence de Dieu dans ce Temple nouveau,
un Temple qui est le Corps de Jésus, un Temple fait de sa chair crucifiée traversée par l’Esprit.

Être présenté au Seigneur pour lui être consacré suppose d’avoir été saisi dans sa chair.
La personne consacrée offre sa chair pour que l’Esprit la passe au feu du fondeur.
Dieu l’affinera comme on affine l’or et l’argent.
Qui pourra soutenir le jour de sa venue ?
Seulement celui ou celle que l’Esprit tient uni au Christ pour être offert dans le Temple.

Chaque baptisé est, pour sa part, consacré au Seigneur, selon le chemin où Dieu l’appelle.
Prions les uns pour les autres, frères et sœurs.
Et allons à la rencontre du Seigneur dans ce Temple qui est son Corps.