Après avoir entendu cet évangile que nous connaissons bien, l’Evangile des noces de Cana, qui plus est en Alsace, je ne résiste pas à l’envie de vous demander : est-ce que vous avez du vin ?… Mais je ne parle pas de votre cave ! On s’en doute, le vin dont il est question dans cette page d’évangile n’est pas le Gewurztraminer, si bon soit-il ! Le vin dont il est question nous renvoie à autre chose, à l’amour.
Si bien qu’en se posant la question : « Est-ce que nous avons du vin », il faut comprendre : Est-ce que nous aimons ? Mais non pas de manière vague. Est-ce que nous aimons vraiment ? Et plus encore : est-ce que nous aimons Dieu ? Y a-t-il de la joie entre toi et Dieu ?
Si nous sommes honnêtes, sûrement nous faut-il reconnaître que la plupart d’entre nous, nous ressemblons aux gens de Cana : nous essayons d’être un minimum vertueux, d’être fidèles à un certain nombre de lois, des lois de la religion, et même des lois que nous nous fabriquons pour que Dieu nous soit bienveillant, pour attirer la sympathie de Dieu.
Mais finalement, nous sommes comme à Cana où les jarres d’eau de purification étaient vides parce que l’on avait bien obéi à tous les préceptes. Mais force est de constater que souvent il n’y a plus de vin ! L’obéissance à toutes les lois, même les plus exigeantes, n’ont pas fait jaillir la joie avec Dieu, l’amitié avec Dieu, la communion avec Dieu.
Et s’il n’y a pas cette joie avec Dieu, il n’y a pas de vraie joie avec les autres. Pour qu’il y ait une vraie joie avec l’autre, il faut un « troisième »… La question qui vient est alors : Seigneur, comment la joie pourra-t-elle déborder en nous et entre nous ?
N’oublions pas que l’Évangile nous parle de 600 litres de bon vin ! La réponse nous vient à travers quelqu’un : Marie. Marie est la première nommée dans l’Évangile d’aujourd’hui. Elle semble être le personnage principal du récit puis elle s’éclipse devant son Fils. Que nous apprend Marie ? À regarder, à prier et à croire.
À regarder d’abord. À Cana, le manque de vin, tout le monde le voit, mais personne ne le voit dans la lumière de la présence de Jésus. Certes Jésus est là, mais, même pour les disciples, la présence de Jésus n’est pas déterminante. Seule Marie voit la réalité dans cette lumière : Jésus est là, et Jésus est Seigneur. Alors, tout apparaît différemment. C’est ce regard qui manquera aux apôtres quand il y aura toute une foule et seulement cinq pains et deux poissons. Marie, Elle, voit ! Et nous ? Vous pourrez faire l’exercice de vous souvenir : face à telle difficulté, est-ce que j’ai regardé la réalité dans la lumière de Jésus, de sa présence, de son Salut, de la puissance de son Amour ?
Ensuite Marie nous apprend à prier, c’est-à-dire à présenter à Jésus la réalité : « Il n’ont plus de vin » (Jn 2,3). Pas de discours, pas de formule, pas de manipulation pour obtenir les faveurs du Seigneur. Mais la réalité crue, toute crue, présentée à Jésus. Pas de fard, pas de produits de beauté, pas de masque, mais la simplicité : je dépose la réalité telle qu’elle est entre les mains du Christ. Sans donner à Jésus de conseils pour qu’Il règle les choses comme moi je le pense : « Seigneur, je préfère ta manière d’agir que j’ignore à mes manières de voir les choses. »
Enfin, Marie nous apprend à croire. « Tout ce que vous demanderez dans la prière croyez que vous l’avez déjà obtenu, et cela vous sera accordé. » (Mc 11,24) C’est cela que vit Marie vis-à-vis de Jésus. Elle consent à ce que Jésus éprouve sa foi : « qu’y a-t-il entre toi et moi, femme, mon heure n’est pas encore venue » (Jn 2,4). Seigneur, ton heure n’est pas encore venue, mais tu peux déjà en manifester la joie, la fécondité ! Et Marie se tourne vers les serviteurs : « tout ce qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2,5). Marie vit un mystère incroyable : sa foi compte pour que le miracle de l’amour se produise. Sa prière compte. C’est à sa prière que Jésus peut faire jaillir les flots de grâces.
Et si nous regardons bien l’évangile de Jean, nous constaterons que depuis le Baptême de Jésus dans le Jourdain, Jean compte soigneusement les jours. Nous en sommes au sixième : c’est-à-dire, celui qui correspond au sixième jour de la Genèse, le jour où Dieu créa l’homme. Jésus n’est donc pas simplement en train de déverser des flots d’amour sur l’humanité, pour l’humanité, plus radicalement, Jésus est en train de créer une humanité nouvelle. Jésus est le nouvel Adam. Et le Royaume qu’il est venu instaurer participe d’une nouvelle création.
Dès lors, Jésus et Marie ne sont pas à cette noce au même titre. Si Marie est là, c’est parce qu’elle appartient encore à l’Ancienne Alliance et lorsqu’elle signale à Jésus le manque de vin, Jésus lui signale que ce vin, qui est maintenant épuisé, appartient au passé. L’Alliance Nouvelle, la nouvelle création est en train d’advenir. La réalisation du signe de Cana nous oriente vers un autre événement plus grand encore. Le don du vin nouveau en abondance annonce le don ultime du Christ sur la Croix, ce don incommensurable, et, pour cette raison, salvifique.
Chers frères et sœurs, aujourd’hui Jésus veut que nous participions à ce mystère. Dieu a voulu que sa grâce jaillisse dans cette rencontre entre son Amour qui se donne et la foi de Marie qui fait confiance. Je pense au texte du prophète Isaïe que nous avons entendu : « Pour la cause de Jérusalem, je ne me tairai pas, Pour Sion, je ne prendrai pas de repos, avant que la justice et le salut jaillissent. » (cf. Is 62,1) Le Seigneur nous appelle à ne pas nous taire, mais à nous tourner vers Lui avec instance. Il attend notre cri pour déverser sa Vie dans le monde, pour déverser sa Vie dans nos vies.
Et quel est le résultat de ce regard, de cette prière, de cette foi de Marie ? Six cent litres… de vin excellent ! C’est-à-dire un amour nouveau, comme enivrant, qui veut habiter nos relations, au sein des couples et des familles. Tous les témoignages de conversion nous parlent si fort parce que nous sentons bien que dans leurs vies cet amour nouveau prend désormais la place de la tristesse, la place des « noces sans vin ».
Chers frères et sœurs, croyez et vous verrez : là où les autres ne voient qu’une croix, une existence ratée et une fin infâmante, vous verrez, vous, la profusion de l’amour surabondant de Dieu, Sa gloire qui nous sauve. Croyez et vous recevrez le vin savoureux de Sa présence dans votre vie. Croyez en Dieu, et les pauvres eaux de notre quotidien, les pauvres dons que nous offrons deviendront le vin de Sa sainte proximité.
Je termine en faisant le lien avec la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Trop souvent nous ne voyons pas à la lumière de Jésus. Ce qui monte en nous, c’est la peur, la frustration, la colère, la violence. Comme nous ne regardons pas le vécu de nos communautés à la lumière de la présence de Jésus, on s’enlise, on se divise.
Alors pour les jours qui arrivent, demandons au Seigneur de nous aider à adopter le regard de Marie, la prière de Marie, la foi de Marie… C’est à son école que nous pourrons laisser Jésus déplacer les montagnes, combler les ravins et remplir les jarres de vin nouveau.
(cf homélies d’Antoine-Emmanuel, Armand Veilleux et Benoît XVI)
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