Le mariage, question piégée…
Apparemment, du temps de Jésus, c’était déjà le cas,
puisque les pharisiens qui voulaient lui tendre un piège choisissent précisément cette question.
On voit bien, aujourd’hui, combien cette question peut être clivante.
Il y a la personne qui est mariée, qui s’estime fidèle, et qui se sent poussée
à défendre les valeurs chrétiennes de la famille et de l’indissolubilité du mariage ;
Il y a celle qui est divorcée, et qui se se sent jugée ou culpabilisée ;
Il y a encore la personne qui subit la solitude d’un célibat non choisi,
et qui sent ainsi sa souffrance ravivée ;
celle qui est en ménage, mais qui ne souhaite ne pas envisager d’engagement durable ;
une autre assume son orientation homosexuelle,
et elle se sent exclue par l’Église, qui ne reconnaîtrait pas son aspiration à un bonheur stable…
Autant d’expériences personnelles tellement sensibles et intimes,
et pour lesquelles, pour autant, chacun attend un regard par lequel il puisse être estimé et reconnu.
Les pharisiens choisissent donc ce sujet pour tendre un piège à Jésus.
Et on attend sa réponse en se crispant un peu,
sentant bien que, d’une manière ou d’une autre, le sujet va nous toucher personnellement.
Le piège, c’est que, quoi que Jésus réponde, il va devoir se mettre à dos une partie de l’auditoire.
Voyons de plus près comment le Seigneur s’y prend.
Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ?
La question est fermée. Elle appelle une réponse par oui ou par non.
Comme souvent, Jésus répond plutôt par une autre question :
Que vous a prescrit Moïse ?
En fait, Moïse n’a rien prescrit du tout. La loi du Sinaï ne parle pas du divorce.
La seule chose qu’on peut trouver, c’est un passage du Deutéronome,
celui probablement que les pharisiens doivent avoir en tête,
qui reconnaît implicitement l’existence de renvoi des épouses,
mais qui ne relève ni d’une prescription, ni d’une permission.
Je suis allé chercher ce texte ; le voilà :
Lorsqu’un homme prend une femme et l’épouse,
et qu’elle cesse de trouver grâce à ses yeux, parce qu’il découvre en elle une tare,
il lui écrira une lettre de répudiation et la lui remettra en la renvoyant de sa maison.
Si cette femme, après avoir quitté la maison, épouse un autre homme,
si ce deuxième homme se met lui aussi à la détester, lui écrit une lettre de répudiation,
la lui remet et la renvoie de sa maison – ou encore si ce deuxième homme vient à mourir –
son premier mari ne peut la reprendre pour femme, du fait qu’elle aura été rendue impure. (Dt 24, 1-4)
Il y aurait beaucoup à dire sur ces paroles, et Jésus aurait pu entrer dans un débat d’interprétation…
Mais il répond laconiquement :
C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle.
C’est le moins qu’on puisse dire, en effet !
Car dans cette casuistique, l’homme traite ici sa femme comme un objet qu’il prend
et qu’il peut ensuite jeter… C’est peu dire de parler de dureté de cœur !
Jésus en reste donc à ce pudique euphémisme.
Et il se place immédiatement sur un tout autre terrain :
Il se réfère au projet du Créateur : Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme.
Dans la Bible, le mot commencement ne veut pas dire le début chronologique,
mais le projet originel,
le projet dont toute la suite découle.
Et il poursuit : À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère,
il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair.
En réalité, Jésus assemble des bouts de la Genèse qui ne se suivent pas.
La première citation était issue du tout premier chapitre de la Genèse.
Tout le monde la connaît par cœur ; on peut donc entendre ce qui n’est pas cité par Jésus :
Dieu créa l’humain à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. (Gn 1, 27)
Mis bout à bout, on comprend donc que l’homme et la femme sont issus de la même chair,
que l’homme quitte ensuite sa parenté pour s’attacher à sa femme pour redevenir une seule chair ;
et c’est ainsi, dans cette attachement de deux altérités,
qu’ils réalise l’union qui révèlent l’image et la ressemblance de Dieu.
On pourrait dire que, dans leur union, les époux ont la mission de donner à voir quelque chose de Dieu.
Leur mariage est une icône qui montre un double mystère :
le mystère d’une humanité différenciée et pourtant une,
et le mystère de l’amour divin qui réalise l’unité dans la diversité
et qui est lui-même Trinité, tri-unité : le Père et le Fils dans l’unité du Saint Esprit, un seul Dieu.
Les époux reçoivent donc une mission :
ils sont chargés de révéler quelqu’un qui les dépasse par tous les bouts !
Révéler le mystère de Dieu à partir d’une humanité blessée et si limitée…
comment est-ce possible ?
En réalité, par nos seules capacités, c’est impossible.
Seule la grâce de Dieu peut transfigurer la réalité de l’amour humain pour le diviniser.
Le mariage est un des chemins de sanctification
dans lequel on a absolument besoin de demander l’aide de Dieu pour avancer chaque jour vers le ciel.
Il n’est pour autant pas le seul chemin.
De fait, Jésus ne se mariera pas.
De ce fait, le mariage ne peut être considéré comme une fin en soi, comme le seul chemin de sainteté.
Jésus rejoint ainsi ceux qui ne sont pas mariés, ou ceux qui ont vécu l’échec de leur mariage.
Il rejoint chacun de nous d’une manière unique et personnelle.
La deuxième lecture qui nous est donné en ce jour est à ce titre très révélatrice.
L’auteur de la lettre aux Hébreux y déclare :
Si Jésus a fait l’expérience de la mort, c’est, par grâce de Dieu, au profit de tous.
En se livrant à la mort sur la croix, Jésus épouse l’humanité toute entière.
Il devient l’époux qui se donne et qui nous reçoit en lui.
Je te reçoit et je me donne à toi.
Quand le texte dit : Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères,
il exprime le projet du Créateur :
chaque personne humaine dans sa singularité est appelée à devenir membre du corps unique de Jésus.
Il n’y a pas que les époux qui doivent devenir une seule chair.
Jésus nous appelle tous à former son unique Corps qui est l’Église.
L’union conjugale préfigure cette union universelle en Dieu.
Ceux qui ne sont pas mariés rappellent aux époux qu’ils sont fait eux-aussi
pour participer au seul Corps du Christ, que leur union n’est pas la fin ultime.
Notre évangile se termine sur l’accueil des enfants… Intéressant !
Amen, je vous le dis :
celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas.
Le chemin de sainteté dont nous parlions, qu’on soit mariés ou seuls,
voilà comment on peut y avancer : en accueillant la grâce de Dieu comme des enfants.
Ces enfants, dont vous les parents, avez la charge, tant pour leur protection que pour leur éducation,
ces enfants portent aussi en eux une ressemblance, ils sont aussi une icône :
celle de la dépendance dans la simplicité,
sans laquelle on ne peut accueillir le don du Royaume de Dieu.
Comment être transfiguré sans cultiver l’accueil de la grâce de Dieu ?
La vie chrétienne est accueil du don de Dieu, tout autant que don de sa propre vie.
Don et accueil du don : c’est le cœur du mariage.
C’est aussi le cœur de tout chemin de foi.