Frères et sœurs, l’Évangile de ce dimanche commence par une prière très simple et très belle : « Seigneur, augmente en nous la foi ! ». Ce cri des apôtres pourrait être le nôtre. Nous aussi, nous sentons combien il est difficile de croire quand la vie nous bouscule, quand pardonner, aimer, persévérer semble trop difficile.
Et Jésus répond par une image déroutante : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi ». La graine de moutarde est minuscule, presque invisible entre les doigts. Mais elle contient une force de vie inouïe. Jésus nous dit par là : la foi n’est pas une question de quantité, mais de qualité. Nous croyons souvent qu’il nous faut “plus” de foi – comme s’il s’agissait d’un capital spirituel à accumuler. Mais Jésus renverse cette logique : une foi minime, dès lors qu’elle est vraie et confiante, peut accomplir l’impossible. La foi est une minuscule brèche par laquelle Dieu peut passer.
Cet arbre, dont parle Jésus, avec ses racines profondes, représente tout ce qui parait figé dans notre vie, tout ce qui nous retient dans les ténèbres : nos peurs, nos habitudes, nos blessures. Et la mer symbolise le chaos et la mort. Eh bien, dit Jésus, la foi peut déraciner ce qui semblait indéracinable et elle a le pouvoir de le rejeter loin de nous et de l’anéantir. La foi rend possible ce qui humainement ne l’est pas, non pas parce qu’elle nous donne un pouvoir, mais parce qu’elle laisse Dieu agir à travers nous.
Et Jésus ajoute aussitôt une autre parabole, celle du serviteur. Celle-ci rééquilibre ce que Jésus vient de dire pour éviter tout malentendu : La foi n’est pas une baguette magique, ni une source de prestige spirituel. La foi ne nous rend pas puissants, elle nous rend serviteurs.
Un serviteur rentre donc des champs, épuisé, et son maître lui demande encore de le servir à table avant de se reposer. Nous sommes choqués, je pense, d’entendre cela mais comprenons bien que Jésus ne décrit pas un maître injuste : il parle de notre relation à Dieu.
Le serviteur fait ce qu’il doit faire, simplement, sans attendre de récompense. Jésus conclut : « Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs ; nous n’avons fait que notre devoir’ ». Le disciple ne sert pas pour être reconnu ; il sert par amour, parce qu’il appartient à un Maître qui s’est lui-même fait serviteur.
Le plus bouleversant, c’est que ce maître dont Jésus parle, il en a lui-même renversé l’image : “Moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert” (Luc 22,27). Le Christ, le Seigneur et le Maître, s’est fait serviteur. Celui qui nous demande d’être humbles est le premier à s’agenouiller devant nous. Ainsi, notre service prend un autre visage : celui d’une offrande silencieuse, celui d’un geste de confiance.
Ces deux images – la graine de moutarde et le serviteur – se rejoignent. La foi véritable, même toute petite, n’est pas un pouvoir à exercer, mais une disponibilité à la volonté de Dieu. Elle pousse comme une graine dans la terre du service humble. Elle déracine l’orgueil, le besoin de reconnaissance, la peur de ne pas être à la hauteur. Elle fait de notre vie un espace où Dieu peut agir librement.
Frères et sœurs, aujourd’hui encore, nous pouvons reprendre la prière des apôtres : « Seigneur, augmente en nous la foi ». Mais peut-être pourrions-nous la traduire autrement : “Seigneur, donne-moi une foi vraie, même minuscule ; apprends-moi à servir sans calcul ; fais de moi ton simple serviteur, c’est-à-dire ton serviteur libre et heureux”. Alors, au soir de nos journées, quand nous aurons tout donné, ce ne sera plus nous qui servirons, mais le Christ lui-même, le vrai Maître, qui nous fera asseoir à sa table et nous dira : “Viens, entre dans la joie de ton Seigneur.”