Avec l’éveil collectif sur les questions écologiques et les enjeux environnementaux,
on prend la conscience renouvelée que tout est lié : Ce que nous vivons à Strasbourg dépend de ce qui se passe en Amazonie,
en Antarctique ou en Asie.
Le soin que je prends à respecter les ressources de la nature
contribue à tous les équilibres du monde, pour aujourd’hui et pour demain…
Comme aime à le souligner le pape François, le monde est une maison commune
dans laquelle nous ne pouvons pas vivre les uns indépendamment des autres.
Que nous le voulions ou non, l’humanité est un ‘tout’ interdépendant.
Dans le même esprit, aujourd’hui, la Parole de Dieu nous montre qu’il y a aussi
une écologie des relations humaines.
Non seulement je ne peux pas me considérer isolé des autres,
mais je suis même responsable de mon comportement relationnel devant les autres.
J’ai été créé par notre Dieu afin de vivre non seulement avec les autres humains,
mais plus encore pour eux.
Devant Dieu, pas question de dire : « chacun pour soi » sans offenser l’esprit même de la Création.
Revendiquer une autonomie totale en exigeant que personne ne se mêle de mes affaires,
ce n’est pas respecter l’humanité telle que Dieu l’a voulue.
Tout ce qui divise les humains et les isole les uns des autres, il nous faut donc l’appeler péché.
Tout est lié : le péché n’abîme pas seulement le pécheur, mais il affecte toute l’humanité.
Plus encore, le chrétien ne peut se contenter d’affronter le péché qui est en lui.
Il est aussi responsable du péché des autres !
C’est ce sujet tellement délicat et difficile que Jésus aborde dans l’évangile.
Comment confronter un frère ou une sœur qui s’enfonce dans le péché ?
Comment contribuer à la conversion, sans se résigner à la victoire du péché,
s’il est bien vrai que nous sommes tous les gardiens de nos frères et sœurs,
et que la sainteté est une marche commune ?
Au centre de nos trois textes se trouve l’exhortation à l’amour mutuel :
N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel (…)
Le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour.
Tout commence donc par l’amour, et s’accomplit dans l’amour ;
voilà donc la clef de vérification permanente de notre vie de chrétien.
Quand Paul déclare que nous devons toujours garder envers chaque personne la dette de l’amour,
il exprime en quelque sorte un manque à combler,
une dette permanente qui nous oblige, comme si chacun de nous était débiteur.
L’origine de cette dette se trouve à la croix :
nous avons été sauvé de l’isolement du péché par la mort et la résurrection de Jésus.
C’est lui qui nous a aimé le premier.
Notre réponse, notre manière de considérer notre dette envers Dieu,
c’est d’aimer à notre tour, de l’aimer Lui, et d’aimer tous nos prochains sans distinction.
Désormais, notre vie baptismale ne peut que produire l’amour,
dans la mesure, du moins, où elle est vivante.
Mais de quel amour s’agit-il ?
Le mot amour, en français, englobe tellement de sens différents qu’il en est ambigu.
Pour dire la même chose, la langue grec a 7 mots différents !
Aujourd’hui, quand on parle d’aimer, on pense souvent à l’émotion affective et aux sentiments.
Or il ne s’agit pas ici de cela.
L’amour dont il s’agit ici est celui qui s’exprime par des actes concrets.
Et dans l’évangile d’aujourd’hui,
Jésus parle de l’amour qui relève d’une qualité de relation fraternelle,
ces relations qui tisse des liens de vie et de dons partagés entre les personnes.
Remarquons que le cadre de l’enseignement de Jésus se situe dans l’Église.
On a l’impression que, pour Jésus, il y a en quelque sorte un intérieur et un extérieur.
Il nous faudra comprendre plus loin comment se situe la frontière.
Si ton frère a commis un péché contre toi…
On ne sait pas de quoi il peut s’agir.
Et il est clair que ce n’est pas l’objet du propos de Jésus. Peut importe à ce stade.
Il suffit que tu considères que ton frère a péché,
c’est à dire que tu es atteint dans ta relation à lui.
Le péché, ici, n’est pas un jugement moral, il est plutôt une blessure de la relation.
Dès lors, Jésus évoque quatre niveaux successifs pour rétablir et soigner la relation.
Le premier niveau, c’est la parole adressée de personne à personne.
S’il s’agit bien de rétablir la relation, il faut en effet aller de l’un vers l’autre.
Va lui faire des reproches seul à seul…
Aller et dire le fond du problème,
dire pour rouvrir l’espace d’un échange vrai, équilibré, apaisé.
L’objectif, selon Jésus, est bien de gagner son frère,
c’est à dire de tout faire pour qu’il reste mon frère et notre frère.
Il ne s’agit donc pas de régler ses comptes en cherchant à écraser ou à défendre un principe,
mais bien, avant tout, de retrouver la relation.
Pour autant l’authenticité de la relation fraternelle va nécessiter la vérité,
il faudra le courage de faire la lumière.
Cet exercice est difficile, car il se déroule dans un contexte de blessure
où l’un et l’autre sont atteints.
Quand Jésus dit : Va lui faire des reproches seul à seul,
il faut bien entendre que, peut être, je vais devoir être prêt, moi aussi, à entendre à mon tour,
à découvrir que je n’y suis pas pour rien.
Je vais devoir accueillir la vérité et pas seulement la faire.
Quoi qu’il en soit, s’il t’écoute, et si toi aussi tu l’as écouté,
bref si la relation est rétablie dans la vérité,
tu as gagné ton frère, tu as gagné la fraternité.
Mais ce n’est pas toujours le cas, et Jésus envisage un deuxième niveau :
faire appel à des témoins, à des tiers.
La vérité, en effet, n’est pas toujours à la portée immédiate des deux protagonistes.
Des témoins vont aider, par leur présence, à dépassionner la situation,
à l’objectiver pour revenir à la réalité.
Mais là encore, dans certains cas, ça ne va peut-être pas suffire à rétablir la relation.
Le troisième niveau acte le refus d’écouter, même avec la contribution des tiers.
Dans ce cas, Dis-le alors à l’assemblée de l’Église.
Si Jésus convoque toute l’Église, on comprend que, pour lui,
cette rupture entre deux frères n’est pas une petite affaire !
Elle atteint tout l’édifice ecclésial, elle touche le corps tout entier.
Enfin, Jésus envisage le quatrième niveau : S’il refuse d’écouter l’Église…
La décision demandée sonne alors de manière terrible :
Considère-le comme un païen et un publicain.
Nous aurions tendance à l’entendre comme une exclusion : du style mettez-le dehors !
Celui qui était frère est maintenant considéré au même titre qu’un païen ou qu’un publicain.
Nous en revenons donc à la question du dedans et du dehors que nous avions soulevée au début.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’une changement de nature dans la relation.
Jésus révélait, au départ, un lien caché qui unissait mystérieusement les frères.
Un lien privilégié et profond qui qualifiait la nature de la relation.
Jésus acte désormais la rupture de cette relation unique et vivifiante.
La fraternité est perdue. Il ne reste que ce qui sépare.
Dans la logique du Royaume des cieux dont Jésus est en train de parler,
le péché est donc l’exercice de cette force qui isole l’homme,
une force destructrice qui arrache du corps fraternel, c’est à dire du Corps du Seigneur.
Le péché remet le prochain sous la loi de la séparation en détruisant le lien fraternel.
Le péché qui sépare est le contraire de la fraternité qui communie.
Les étapes que Jésus propose, en même temps qu’elles sont des tentatives pour renouer la relation,
sont aussi destinées à confronter progressivement le pécheur
à l’ampleur du lien fraternel qui est ainsi rompu :
d’abord le frère, ensuite les témoins, efin l’assemblée de l’Église.
Cette progression est destinée à élargir sa vision au-delà de celui qui l’a réprimandé :
l’enjeu, en effet, dépasse les deux frères du début :
il se situe en définitive dans la réalité du Corps tout entier,
le corps de l’Église qui est Corps du Christ.
Le lien à restaurer est en réalité un lien avec le Christ lui-même.
Et il est vital : il est le cordon par lequel nous recevons la Vie.
Nous le comprenons bien avec la fin du passage d’évangile.
Si deux d’entre vous se mettent d’accord…
Il s’agit des deux du début, à mon avis !
Le terme se mettre d’accord est la traduction du verbe grec symphoneo, qui a donné symphonie.
C’est comme un accord de musique,
une harmonie qui rend chacun des instruments délicieusement beau.
L’Église, c’est la fraternité.
C’est la mise en harmonie de chacune de nos vies pour qu’elles déploient leur beauté ;
pour qu’elle rayonne de toute leur richesse.
Quand nos relations fraternelles chantent en symphonie, le monde en est irradié de saveur.
Quand règne la fraternité, le Royaume de Dieu se rapproche,
il est déjà au milieu de nous,
le Christ est manifesté au monde comme une aurore flamboyante.
Pour changer le monde, rien n’est plus efficace que le pardon et la communion entre nous.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, dit Jésus :
si vous avez de l’amour les uns pour les autres. (Jn 13, 35)