Dimanche dernier, nous entendions l’épisode qui précède cette page d’Evangile : la guérison de l’enfant de Jaïre, le chef de la synagogue. Nous contemplions ce père bouleversé par son enfant qui se trouvait entre la vie et la mort et que Jésus a sauvé. Sans transition, l’évangéliste Marc nous fait passer de Capharnaüm à Nazareth, vers le lieu d’origine de Jésus, comme il le dit, littéralement vers « le pays de ses pères ». Il est donc encore question d’un père. Mais grande est la surprise de voir défiler toute la parenté, la mère, les frères, les sœurs, mais justement pas de père : aucune trace de père ! Marc ne parle nulle part de Joseph, contrairement aux autres évangélistes. Cette « patrie » sans « père » apparaît comme une révélation en creux, une omission décisive : l’évangile doit nous conduire à un autre père, le Père du ciel.
Marc ne présente pas Jésus comme « le fils du charpentier » (Mt 13, 55) mais comme étant lui-même « le charpentier », avec des mains de charpentier, dont on s’étonne qu’elles soient devenues des mains de thaumaturge, des mains de médecin. Jusqu’à Nazareth, on a entendu parler de la guérison de la belle-mère de Pierre (1, 29-39), du lépreux (1, 40-45), du paralytique (2, 1-12) et de l’ensemble de ses miracles. Rien n’échappe à sa main et à sa parole. Son autorité a combattu avec succès tous les éléments nuisibles : la tempête (4, 35-41), une légion de démons (5, 1-20), la maladie et la mort (5, 21-43). D’où tient-il ce pouvoir ?
Les gens de Nazareth sont dans l’expectative. Ils ont défini Jésus en fonction de leur savoir. Ils n’ont pas su accueillir une nouveauté, ni se laisser transformer par sa parole, par sa présence. Pour eux, il est impossible que Jésus soit autre chose qu’un-charpentier-bien-de-chez nous, et surtout pas le Messie, le Fils de Dieu. Leur manque de foi nous alerte sur le fait qu’il n’y a pas de foi sans conversion.
Se mettre à l’écoute de Jésus et le suivre, mettre sa foi en Lui et dans le règne qu’il annonce, tout cela demande des abandons et des déplacements. Laisser ses filets pour devenir pêcheurs d’hommes (1,21-28). Abandonner son bureau des taxes (2,13-17) et le suivre jusque dans les controverses. Se reconnaître ignorant à l’écoute de ses paraboles (4,3-20) et incrédule dans les tempêtes (4,35-41), etc. Sans doute encore, comme les disciples de Jésus, devrons-nous abandonner bien de nos a priori et de nos certitudes pour accepter un mystère qui se dévoile peu à peu.
Ce charpentier de Nazareth n’est ni un maître de sagesse, ni un thaumaturge. En cela, les habitants de Nazareth disent vrai. Mais si, contrairement à eux, nous ne connaissions ni sa mère ni ses frères, nous connaissons son Père qui s’est manifesté lors de son baptême au Jourdain. Ses frères sont ici nommés. Ils sont quatre : Jacques, José, Jude et Simon. Mais nous en connaissons d’autres, autrement frères : Simon, André, Jacques, Jean, Lévi. Et si ses sœurs sont parmi eux, nous savons que toutes celles et ceux qui font la volonté de son Père sont ses frères, ses sœurs, sa mère… (3,35).
L’étonnement initial à la synagogue devant l’enseignement de Jésus se mue en blocage, en scandale, de la part des auditeurs. Les disciples sont témoins de ce rejet, de ce choc, et de l’étonnement final de Jésus qui est condamné à l’impuissance. « Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle », précise Marc. Jésus décide alors de continuer son chemin avec ses disciples. Le rejet de ses proches, et à travers eux de son peuple, préfigure sa mort sur la croix. Il ne s’impose pas par la force. Sa seule force, c’est l’amour. Il se fait frère de tous. Il ne devient maître qu’en servant et en aimant jusqu’au bout comme un frère.
Puissions-nous accueillir en ce jour, dans cette Eucharistie, Jésus notre frère et notre Sauveur. Que son amour descende sur nous et nous fortifie dans la foi.
(inspiré de David-Marc d’Hamonville, Marc, l’histoire d’un choc, Cerf, p. 112, et de www.aularge.eu)
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