Si je dois rendre compte du cœur de ma foi chrétienne,
je vais bien sûr parler de la venue du Fils de Dieu dans la chair lors de sa Nativité.
Je vais évoquer ensuite la prédication de Jésus
et la manière dont il s’est fait proche de tous les humains.
Il me faudra bien sûr continuer avec sa mort sur la croix,
quand il a donné sa vie par amour pour nous.
Et je ne m’arrêterai pas avant d’avoir proclamé que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts,
et qu’il est désormais vivant à jamais.
Tout cela est très bien.
Mais si j’oubliais de rendre compte de son Ascension et de l’envoi de l’Esprit Saint à la Pentecôte,
il manquerait quelque chose d’essentiel.
L’essentiel en question, c’est ce que saint-Paul évoque quand il dit, dans la deuxième lecture :
Il faut que se construise le corps du Christ,
jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble
à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu,
à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude.
Nous avons bien entendu ; Paul dit :
• tous ensemble, Dieu veut que nous devenions le Corps du Christ, et pour cela, nous devons parvenir à l’unité parfaite entre nous ;
• il veut nous introduire dans la pleine connaissance de Jésus en tant que Fils de Dieu ;
• et enfin, nous sommes appelés à parvenir à la pleine stature du Christ, à l’état de l’Homme parfait, c’est-à-dire à devenir comme Jésus.
Rien moins que cela !
A la Résurrection, l’homme Jésus a atteint la plénitude de l’homme-Dieu.
Il faut encore l’Ascension et la Pentecôte pour que cette plénitude se communique aux disciples,
et qu’ils puissent entrer dans cette vie nouvelle.
Voyons comment cela se réalise.
Pour les disciples de Jésus, l’événement de l’Ascension du Seigneur
provoque un changement radical et une étape toute nouvelle : soudain, tout change.
Voilà que Jésus s’élève au ciel et qu’il disparait de leurs yeux.
Ils ne le verront plus désormais ;
ils ne pourront plus écouter sa voix, ni manger avec lui, ni le suivre sur les chemins.
Une page se tourne, irrémédiablement.
Tout change.
Tout change, mais tout n’est pas terminé pour autant.
Car en élevant Jésus, Dieu ouvre à nouveau le ciel.
Le Fils retrouve la gloire qu’il possédait dès avant la création du monde.
L’homme-Jésus, celui qui s’est fait notre frère tout au long de sa vie avec nous,
voilà que le Père le fait Seigneur, et qu’il est désormais assis à sa droite, dans la gloire.
Pourtant, pour le Fils, ce n’est pas un retour à l’état d’avant sa venu dans la chair.
Car désormais, c’est bien jésus dans la chair qui rejoint la sphère divine.
Voilà la nouveauté inouïe : désormais, en la personne de Jésus, la vie humaine est intégrée dans la Vie divine.
Et cette union de l’humanité et de la divinité est définitive : le Fils de l’homme est l’un de la Trinité.
Tout change en Dieu, donc ! Dans le ciel règne un Homme dans la chair !
Alors bien sûr, tout change pour nous aussi dans notre relation à Dieu.
Dans notre communion avec Jésus, nous avons déjà un pied dans le ciel.
Et de même, le ciel dispose d’une entrée permanente sur la terre.
Certes, Jésus n’est plus visible à nos yeux,
mais cette apparente séparation devient donc un avantage :
Maintenant, c’est par la communion spirituelle que Jésus se fait connaître à nous.
Il n’y a plus besoin d’être sur les chemins de Galilée, il y a 2000 ans.
on peut être avec lui à Strasbourg, aujourd’hui ;
dans sa chambre, au travail, à tout instant et n’importe où.
Pour rencontrer celui qui est sans cesse avec nous,
il suffit d’être présents à nous-même, d’habiter notre cœur,
car depuis notre baptême, c’est là, en nous, qu’il a fait sa demeure.
Il est avec nous tous les jours,
si près de nous qu’il n’y a pas plus intime que sa présence.
A chaque fois que nous faisons silence, que nous nous arrêtons un peu,
on peut le rencontrer, le prier, l’écouter, et savoir qu’on n’est plus jamais seul.
Cet approfondissement, pourtant, ne s’arrête pas là. Car il y a plus large que notre cœur.
Le Ressuscité se rend aussi présent au cœur même de la relation des disciples entre eux.
Désormais, quand deux ou trois sont réunis au nom de Jésus,
il est là au milieu d’eux.
Il est le ciment de la communauté chrétienne,
il est la matière première de notre communion fraternelle,
et c’est ainsi qu’il fait de nous des frères et sœurs, qu’il fait de nous son Corps.
Par son élévation, il plante donc sa présence plus profondément en son Église,
ou plus exactement, il fait l’Église.
L’Ascension n’inaugure pas l’absence du Christ, mais au contraire une présence bien plus profonde.
Pour le monde, il semble invisible,
mais pour ses proches, pour ceux qui l’aime, sa présence est encore plus réelle et plus intense.
D’ailleurs, il n’a pas pour autant laissé nos sens naturels à vide !
Sa Parole proclamée, l’Eucharistie célébrée,
sont autant de moyens par lesquels le Christ se communique.
Et tout autant par la communion de nos assemblées dans son Amour. Une communion palpable.
L’Ascension est donc un approfondissement de notre relation à Jésus.
Paul disait que nous étions ainsi introduit dans la pleine connaissance de Jésus.
Mais c’est aussi un élargissement, à l’échelle de toute l’humanité,
car Jésus envoie ses disciples de par le monde entier pour annoncer un monde nouveau.
Il les envoie comme témoins de sa présence, et porteur de la communion fraternelle.
Et l’évangile dit que le Seigneur travaille avec les disciples
et confirme la Parole par les signes qui l’accompagnent.
L’Ascension est ainsi l’étape de l’approfondissement et de l’élargissement,
et c’est pourquoi, dans l’évangile selon St Jean,
Jésus avait dit aux disciples : c’est votre avantage que je m’en aille. (Jn 16, 7)
C’est ce que Paul voulait dire quand il parlait de la construction du Corps du Christ :
un corps profond et large qui récapitule tous les croyants
et qui est relié à la tête, le Christ Jésus ; et donc relié au ciel, à la vie même de Dieu.
Mais si on s’en arrêtait là, il manquerait le principe de cette transformation.
Jésus, avant son départ, promet qu’il va envoyer l’Esprit Saint.
L’Ascension nous fait donc entrer dans une période de dix jours
au cours de laquelle l’Église doit attendre ce don par excellence.
C’est bien l’Esprit Saint qui fait parvenir à la pleine stature du Christ,
qui donc qui sanctifie les disciples.
Entrons donc dans le temps du Cénacle, de l’accueil du Saint Esprit.
Réjouis d’une grande joie, nous entrons dans une prière plus intense, autours de Marie,
dans le retrait de la chambre haute.
La présence de Marie n’est pas anodine.
Au commencement de son évangile, Saint Luc montrait la jeune vierge seule,
dans la prière, accueillant l’annonce de l’ange,
et recevant en son sein, par la descente du Saint Esprit, le Fils de Dieu fait chair.
En ces jours, Marie aide l’Église à se tenir dans cette attitude d’ouverture et de désir,
pour que l’assemblée des disciples reçoivent le Souffle d’en haut.
Dieu veut faire de notre chair un Temple du Saint Esprit,
il veut allumer, au milieu des disciples de son Fils, un brasier ardent de sa présence.
Dans la deuxième lecture, Paul nous rappelle la posture dans laquelle nous devons nous tenir
en ce temps du Cénacle :
Ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience…
ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix.
Le Cénacle dans lequel nous nous tenons pour recevoir le Don du ciel,
c’est le Cœur de Jésus qui rassemble en lui tous ses frères et sœurs,
et qui nous ouvre à la vie du ciel.
Les quarante jours du temps pascal se terminent donc par ces dix jours au Cénacle.
Un Cénacle qui est comme un creuset divin dans lequel on doit être fondus et formés par l’Esprit.
Le Cénacle est le contraire d’un repli sur soi :
il doit être élévation et élargissement.
C’est dans ce double mouvement intérieur que nous sommes invités à prier en ces jours,
les uns avec les autres,
jusqu’à devenir participants de la Vie divine.