La mission est abondante
Homélie de fr. Joseph  |
le 3 juillet 2022  |
Texte de l'évangile : Lc 10, 1-12.17-20

« Allez, la moisson est abondante ! » Allez, la mission est abondante ! Aujourd’hui, l’Évangile est un appel franc à la mission ! Jésus ne veut pas agir en solitaire. Il a besoin de témoins. Et pourtant, les propos de Jésus n’ont rien de rassurant… En disant que la moisson est abondante, c’est qu’il y a du travail, beaucoup de travail, bref que ce n’est pas le moment de la « pépéritude » ou de farniente. Et plus troublant encore Jésus ajoute : « Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Si quelques-uns pouvaient éventuellement être attirés par les défis de grande envergure, cette dernière parole a de quoi faire reculer les plus motivés.

Pourtant, Jésus envoie bien 72 disciples en mission. Et chose remarquable, tout porte à croire que « ça marche ! ». Oui, les disciples reviennent et constatent avec joie la puissance de la grâce : « Les 72 disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » » Et Jésus ajoute même : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. » Rien à envier aux Avengers ou aux Jedi !

Pourtant comment confronter une telle parole à la réalité ? Si nous regardons le monde qui nous entoure, l’Ennemi semble prendre le contrôle en bien des endroits : ne pensons pas seulement à ce qui se passe en Ukraine, mais à cette difficulté ambiante à faire confiance. La peur généralisée, l’absence de sécurité, l’incertitude sur l’avenir nous transforme vite en accusateur de nos frères, de nos sœurs, de notre conjoint, de nos enfants, de notre employeur, etc.

Dès lors, qu’est-ce que Jésus veut dire quand il affirme : « absolument rien ne pourra vous nuire » ? Quelle arme possède une telle puissance ? Pas besoin de chercher bien loin, la réponse est donnée dans notre passage. Les disciples ne partent pas avec des armes, avec des boucliers, ni même avec des diplômes de théologie, avec des techniques de com’, mais avec un frère, une sœur à aimer. L’arme la plus puissante que Jésus confère à ses disciples, c’est la charité. Jésus envoie les disciples deux par deux, non seulement car il ne veut pas agir seul, mais plus encore parce qu’il est venu « pour apporter au monde l’amour de Dieu et il veut le diffuser avec le style de la communion, avec le style de la fraternité. » (Benoît XVI)

Voilà qui change tout. Bien sûr, il ne s’agit pas d’être naïf. Les membres du G7 sont bien en train de mettre en œuvre le précepte : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Mais Jésus veut nous placer sur un autre registre, il veut user d’une autre arme. Celle qui désarme vraiment : et celui qui en use et le bénéficiaire. C’est l’arme de la charité. Jésus l’a définitivement offerte en en payant le prix sur la Croix. Là, sur la Croix, Jésus a vaincu la haine des hommes, il s’est dépouillé de toute prétention de puissance, il a vaincu l’aiguillon de la mort, il a brisé les portes de l’enfer. Si seulement, nous pouvions dire comme St Paul dans la finale de sa lettre aux Galates que la Croix est notre seule fierté !

Mais alors de quelle joie parle Jésus ? Les disciples se réjouissent de posséder un tel pouvoir, de se soumettre les démons. Mais Jésus ne se trompe pas. Le véritable motif de leur joie ne vient pas du sentiment de toute puissance. Le vrai motif de la joie vient de se savoir aimer, d’exister pour quelqu’un, de compter aux yeux de quelqu’un : « Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. » (Lc 10, 20) Dieu nous a préparé pour chacun, pour chacune d’entre nous une place. « Nous ne comprenons peut-être pas vraiment comment notre nom est inscrit dans les cieux, mais nous savons que lui et lui seul est capable de nous le garantir. » (Cardinal Vingt-Trois) Comme l’écrivait Chiara Petrillo dans cette perspective de foi : « Nous sommes nés et nous ne mourrons jamais plus ». Aussi, je peux vraiment me dire : Je suis attendu. J’existe, j’existe pour Dieu. Non seulement : J’existe aux yeux de Dieu, mais j’existe pour être uni à Dieu. C’est dans l’assurance de la vie éternelle qu’émerge la joie.

Permettez-moi de vous partager cela. Hier soir, nous nous sommes retrouvés, juste entre frères et sœurs, près du tabernacle, pour vivre ce que nous appelons une prière partagée. Pour en avoir vécu un bon nombre, il est frappant de constater qu’elles sont globalement assez semblables dans la forme, mais pas sur le fond. Et j’ai été frappé car ce fut un jaillissement de reconnaissance, de prières d’action de grâce. Cela m’a beaucoup frappé car l’année fut particulièrement intense, voire difficile, que ce soit dans le monde ou dans l’Eglise et pourtant, l’Esprit saint nous entraînait dans un long et profond mouvement de reconnaissance. Nous étions loin de l’ambiance morbide qui se dégage des journaux papiers ou télévisés. La perspective du Ciel nourrissait et éclairait notre prière. Une paix et une confiance nous était donnée. Ainsi nous n’étions pas d’abord joyeux de ce que nous avons fait au cours de l’année, nous étions joyeux de ce que Dieu a fait, de ce qu’il continue de faire ici à St-Jean, en Alsace, dans le monde, à travers l’histoire des hommes.

Chers frères et sœurs, le Royaume de Dieu, le Royaume que Dieu nous prépare, c’est celui où règne la joie, la communion. Jésus est venu dans le monde pour que ce monde puisse réellement advenir. « Votre cœur se réjouira » nous disait Isaïe (Is 66,14).

Mais soyons sûrs que « Dieu ne nous consolera pas seuls comme des individus gâtés, isolément : Il nous consolera ensemble et les uns à travers les autres. Le bonheur véritable, le bonheur éternel est un bonheur de communion […]. Recevoir Dieu et donner Dieu. Dieu aime être le don que nous nous faisons les uns aux autres. Et Dieu n’est pas avare de son bonheur ; son désir est de nous le partager éternellement. » (fr Antoine-Emmanuel)

Notons enfin que : « Quand les disciples arrivent dans les villes ou les villages ils doivent « manger ce qui leur est offert ». Cela, c’est fondamental. Les communautés chrétiennes n’ont pas à vivre dans une sorte d’angélisme missionnaire par lequel elles se reconstitueraient comme des sociétés autonomes, supérieures, des espèces de super-sociétés totalement indépendantes du monde. Non, nous avons besoin de tout ce tissu de relations sociales, de relations humaines, de relations d’entraide, de relations de voisinage, de relations familiales qui constituent le monde dans lequel nous vivons notre appartenance au Christ. Donc s’avancer en acceptant ce que le monde nous offre c’est le « b.a ba » de l’attitude missionnaire. » (Daniel Bourgeois)

Mais dans le monde, dans ce monde, devenez missionnaire ! « Je vous envoie comme des Agneaux, au milieu des loups », non pas pour votre perte, mais pour que vous n’ayez d’autres armes que celle de la charité.

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