En lisant cette page d’Evangile me revient une anecdote. Il y a quelques années, j’étais encore à Paris, et presque chaque fois que je quittais mon travail pour aller à l’office, je croisais sur le chemin ce même monsieur qui vendait son journal. Il savait que je ne lui achèterais pas son journal, mais nous échangions volontiers quelques mots assez rapidement et j’aimais son approche toujours avenante. Un jour, il voyait que je n’aurais pas le temps de m’arrêter auprès de lui, mais pour attirer mon attention, il me tendit son journal en me disant : « tiens, toutes les misères du monde… » Quand j’y repense aujourd’hui et que je lis les journaux, j’ai envie de me dire : « rien n’a vraiment changé ». L’histoire se répète. En somme, ce que nous vivons aujourd’hui, est-ce la réalisation de la prophétie de Jésus ? Quand Jésus disait, il y a 2000 ans : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel. », n’est-ce pas ce que nous lisons chaque jour dans les journaux ? Serions-nous donc à la fin des temps ? L’apocalypse, serait-ce pour aujourd’hui ? Eh bien, je pense que oui, mais dans un sens bien précis.
Oui, c’est aujourd’hui, car nous sommes dans les derniers temps. Pour autant, je ne pense pas que ce soit la fin des temps. Nous sommes dans les derniers temps depuis l’ascension de Jésus. Quand Malachie dit : « Voici que vient le jour du Seigneur », ce jour est venu. Jésus est né et sa mort et sa résurrection nous ont acquis le salut.
Oui, c’est aujourd’hui, car Jésus ne parle pas tant pour nous, que de sa propre fin, de son sacrifice, de sa montée à Jérusalem qui devait alors s’accomplir à la manière d’un nouveau Sinaï (cf Ex 19-20), par des signes grandioses.
Oui, l’apocalypse c’est aujourd’hui, car apocalypse veut dire révélation, dévoilement. Et c’est bien chaque jour que Jésus se donne, que Jésus se manifeste, se révèle, se dévoile à nous, surtout dans les doux, les artisans de paix, les cœurs purs, les miséricordieux, les humbles.
Oui, l’apocalypse, c’est aujourd’hui car Jésus ne cesse pas d’être présent pour lutter avec nous, en nous contre les puissances du mal qui s’agitent en nous. Et si nous ne pouvons pas dire quand sera le dernier jour, une chose est sûre, Jésus ne nous laissera jamais seuls. Lui-même l’a dit : « Je serai avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).
Quand donc Jésus recourt à des images assez terrifiantes, ce n’est pas pour nous faire peur, mais pour nous dire : tout passe !!! « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Oui, car tout passe !!! Seule ma grâce dure. Seul mon Royaume tient ferme. Seule ma miséricorde éternise.
Ici, on pourrait être tenté de se dire : « je ne comprends pas : les guerres continuent leurs ravages, les hommes continuent d’exploiter les hommes, d’épuiser la nature, de tomber malade et de mourir… En somme rien n’a changé ! » Malachie promettait un changement qui semble n’être pas venu : « Le jour qui vient les consumera [tous ceux qui commettent l’impiété], il ne leur laissera ni racine ni branche. » Pourtant les racines du péché semblent bien vivaces et les branches bien solides. Alors, qu’est-ce qui a changé ?
En apparence, il nous faut l’admettre pas grand-chose. Chaque siècle reste le théâtre de nombreuses, douloureuses et malheureuses tragédies. Nous pouvons même affirmer que : « chaque génération connaît sa fin du monde ». Seulement, il nous faut le reconnaître, nous sommes toujours là pour en parler…
En somme pour reconnaître ce qui a changé, il faut sans doute ouvrir les yeux sur les réalités invisibles. Invisibles ne veut pas dire dans un monde parallèle, invisible veut dire visible à ceux qui ont des yeux pour voir, visibles à ceux qui savent reconnaître l’extraordinaire dans l’ordinaire. Cela veut dire que pour que les choses changent, la fin du monde ne suffit pas. Il faut surtout que chaque génération consente à « la fin de son monde », que tu consentes à te dépouiller ce qui t’encombre, particulièrement de ton « moi » qui n’accorde que trop peu de place à Dieu. Cela se joue dans ton cœur, dans ton intelligence, dans ta volonté. Et cette victoire ne peut survenir qu’en traversant les pires guerres, les pires cataclysmes !
Maintenant, nous pouvons comprendre que notre page d’Évangile ne nous plonge finalement pas tant à la fin des temps qu’au cœur de l’histoire. Les premières communautés chrétiennes ont subi très tôt ces persécutions décrites par Jésus : « on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. » Mais plus largement, chaque siècle fut marqué par le sang des martyrs. Chacun d’entre eux a connu ce Jour d’épreuve, de combat, d’humiliation, de déréliction, pour finalement sortir vainqueur par le triomphe de la foi, par le triomphe de l’amour, par le triomphe de l’espérance. Ils ont su voir où se trouvait la vraie gloire : non pas dans les pierres, mais dans la vie, dans cette vie divine que Dieu nous donne en partage. Toute leur vie, ils ont consenti à laisser Dieu brûler les racines de leur péché, à laisser l’Esprit Saint purifier, guérir en eux ces racines tordues et ces branches stériles, à les guérir par la sève de l’Évangile. A l’exemple de Paul, ils n’ont pas choisi l’oisiveté face à un Jour qui tardait à venir, ils se sont laissés guider et soutenir par la Parole du Christ et la Sagesse de l’Esprit, ils ont appris à discerner dans chaque aujourd’hui les signes Royaume. Chaque jour devenant ainsi ce jour que Dieu leur donne, que Dieu nous donne, que Dieu te donne pour manifester sa gloire et sa puissance.
Chers frères et sœurs, si Jésus attire nos regards sur les misères du monde, ce n’est pas pour nous faire peur ou nous faire déprimer. Ouvrir les yeux sur les misères du monde, c’est peut-être davantage pour « nous faire prendre conscience que les temples, un jour ou l’autre, croulent, que les réalisations les plus solides passent, c’est pour nous inviter à bâtir en matériaux d’éternité. » (moniale FMJ) En effet, chaque fois que des hommes et des femmes se laissent toucher par la grâce, par la miséricorde divine, par la Parole de Dieu, une apocalypse advient, un monde disparaît pour laisser place au Royaume.
En prenant appui sur le seul Rempart inébranlable, sur le rempart de la Vie, de sa Vie, Jésus nous invite à adopter une attitude de confiance que ni les catastrophes, ni les persécutions ne pourront faire chanceler. « S’il s’agissait, pour l’évangéliste, de préparer la première génération des disciples à affronter l’épreuve, il s’agit pour nous de nous interroger sur ce qui, dans notre vie, doit mourir. Pour eux et pour nous, la fin est la vie dans le Christ ressuscité ». (Commentaire moniale FMJ) Ste Thérèse d’Avila l’a si bien exprimé dans sa fameuse prière :
« Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante,
tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout ;
celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit.
Solo Dios basta. »
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