Je pense que vous en conviendrez tous avec moi, le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie n’est pas le plus simple à comprendre. Face à une telle difficulté, on pourrait être tenté de refaire ce gage d’un éditeur suisse qui à l’occasion de je ne sais quelle Semaine ou Année ou Journée de la Femme avait publié un livre intitulé « Ce que l’homme sait de la femme. » C’était un confortable volume de cinquante pages. Simplement, sitôt après la couverture, il n’y avait que des pages blanches …
De fait, il est assez difficile de se prononcer sur un mystère que seule la Vierge Marie a vécu. Mais je vais essayer de vous en rendre quelques aspects, à la lumière des trois naissances qui ont jalonné la vie de Marie.
Il y a tout d’abord cette première naissance, quand Anne et Joachim ont enfanté Marie, quand elle est entrée dans ce monde. Là, si nous prenons un peu de recul, il faut bien reconnaître que sa naissance est en tout point semblable à la nôtre, excepté le fait qu’elle soit l’immaculée conception, que Dieu l’ait choisie dès avant sa naissance pour qu’elle soit préservée du péché. Mais cette naissance fut bien pour elle, comme pour nous, ce que cet écrivain catholique, cet humoriste anglais affirmait : « l’aventure suprême ! » (G. Chesterton) « L’aventure, dit-il, c’est quelque chose qui vient à nous, c’est une chose qui nous choisit, et non pas une chose que nous choisissons. Tomber amoureux a souvent été considéré comme la suprême aventure, le suprême accident romanesque : c’est vrai d’une certaine manière, mais, l’aventure suprême ce n’est pas de tomber amoureux, l’aventure suprême c’est de venir au monde. […] Par la naissance, nous faisons notre entrée dans une famille, nous pénétrons dans un monde incalculable, dans un monde qui a ses lois particulières et étranges, dans un monde qui pourrait se passer de nous, dans un monde que nous n’avons pas fait. » Marie est entrée dans ce monde, dans cette famille. Elle a accepté cette aventure incroyable, cette aventure plus romanesque que tous les romans que vous avez lus, et pourtant cette aventure inouïe, cette aventure réelle qui fut conduit à la lumière de cet appel si particulier que Dieu lui a adressé d’enfanter le Sauveur.
Ensuite, j’ose qualifier de naissance, de « seconde » naissance de Marie, le moment où elle enfanta elle-même Jésus. Marie vécut à l’égard d’elle-même quelque chose de complètement neuf. Quand bien même, je fais partie de ceux qui ne peuvent éprouver de l’intérieur ce qu’est un enfantement, j’ose tout de même ces quelques mots. Je pense qu’il s’agit d’une expérience unique où la femme s’aperçoit non pas d’abord dans sa tête, mais dans son corps, mais qu’elle est d’abord totalement pour quelqu’un d’autre. A ce moment de sa vie, Marie est devenue Mère. Non seulement, Marie a découvert à ce moment être en possession de ressources de vie insoupçonnées, son corps étant merveilleusement conçu pour enfanter un petit d’homme, mais il s’est produit aussi un mouvement inverse : cet enfant qu’elle portait, son enfant qui grandissait en elle la révélait à elle-même comme mère, Jésus l’enfantait à sa maternité. En portant en elle une vie, dans son propre corps, c’est son corps qui lui a appris ce qu’était la maternité. La maternité n’est pas une idée, un calcul, un plan familial, mais un corps qui tout d’un coup se donne pour un autre, un corps qui se retrouve totalement orienté vers un autre corps à naître. Marie a fait cette expérience. Et je suppose que le Christ, le Fils éternel de Dieu, quand il s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie, il a dû savoir qu’il offrait cela à Marie. Il a dû savoir et comprendre que désormais, il y avait quelqu’un dans l’humanité qui ne pensait son corps qu’en fonction de Lui. Marie est devenue mère du Christ Jésus, mère de Dieu. Elle a eu son corps qui est devenu plus grand qu’elle-même, son corps totalement finalisé, totalement polarisé pour cet enfant que Dieu donnait au monde. Et chose que nous n’aurons jamais fini de contempler : Marie a dit oui pour vivre cette aventure !
Cela étant, même après la naissance du Christ à Bethléem, Marie n’a pas cessé de continuer à porter son Fils en elle. Non pas comme on porte un proche dans notre cœur, dans nos prières. Non, Marie n’a pas cessé d’être sensible, toute écoute à la Vie divine que Dieu a semée en elle, à la Parole de Dieu. Ainsi ce n’était plus ce petit corps d’homme qu’elle portait, mais le Verbe de Dieu. Celui-là même qui l’a engendrée.
La troisième naissance de Marie fut celle de sa naissance au Ciel, son « enciellement ». Les orientaux disent sa Dormition. Les catholiques disent son Assomption. Qu’est-ce à dire ? Cela signifie qu’au moment de sa mort, la vierge Marie a été prise dans le mystère de la résurrection du Christ. Elle a vaincu la mort comme son Fils, et elle triomphe dans la gloire céleste dans la totalité de son être, « corps et âme ». En effet, si Marie était si sensible à la Parole de Dieu, à la présence de son Fils en elle, il n’est pas possible qu’elle n’ait pas en même temps goûté à la puissance de Vie de son Fils, à sa Résurrection. Plus encore, il est impossible que d’une manière ou d’une autre Marie n’ait pas été associée radicalement à la destinée de gloire de son Fils. Il n’est pas possible que Marie dont la chair était le principe même, le lieu d’accueil du salut, n’ait pas été la première à bénéficier de la plénitude de ce salut. Et c’est précisément cela que nous fêtons dans le mystère de l’Assomption. Nous fêtons quelque chose qui, pour nous, a une très grande signification, parce que, depuis le jour où Marie a prononcé son « oui », son « fiat » jusqu’à l’Assomption, il y une continuité absolue, par laquelle Marie, par sa foi et par grâce, n’a cessé, par la puissance de Dieu, de vivre cette aventure suprême, de nous introduire dans cet enfantement continué allant de gloire en gloire vers une Gloire n’ayant pas de fin ! (cf. 2 Co 3, 18)
Chers frères et sœurs, chers pèlerins, chers amis, quelle grâce de méditer ce mystère. La foi chrétienne serait gravement amputée si Pie XII n’avait pas osé confirmer l’Assomption de la vierge Marie. Reconnaître dans la chair d’une femme, d’une fille d’Israël, toute la présence de Dieu qui est passée pour l’humanité tout entière, c’est à peine imaginable. Il n’est pas étonnant qu’il ait fallu beaucoup de temps pour que les chrétiens en mesurent toute l’importance.
Une dernière chose : quand nous fêtons l’Assomption, nous fêtons bien évidemment Marie, mais sa vie nous renvoie immanquablement à notre propre existence. Toute notre vie commence par cet obscur moment de notre conception dans lequel nous sommes déjà appelés à la vie éternelle et à la gloire de la résurrection. Toute notre existence devient alors un mystère de génération, de jaillissement, de résurrection, de passage à une vie nouvelle dans la mort et la résurrection du Christ. Si « c’est en Adam que meurent tous les hommes ; c’est dans le Christ que tous revivront, chacun à son rang : en premier le Christ ; et ensuite, ceux qui seront au Christ lorsqu’il reviendra ». (1 Co 15, 22-23)
Prions le Seigneur afin qu’il nous fasse comprendre combien toute notre vie est précieuse à ses yeux ; qu’il renforce notre foi dans la vie éternelle ; qu’il fasse de nous des hommes et des femmes d’espérance, des hommes et des femmes embrassant cette suprême aventure, des hommes et des femmes qui orientent leur existence tout entière à la lumière de cette certitude que nous sommes créés pour cette même glorification, ce même enfantement à la vie divine.
(inspiré d’homélies de Benoît XVI et de Daniel BOURGEOIS)
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