Pour bien comprendre cette parabole du semeur que nous venons d’entendre, il nous faut la resituer dans son contexte. À ce stade de l’Évangile, Jésus a déjà beaucoup semé, et sur tous les terrains. Il s’est heurté aux têtes dures des scribes et des pharisiens, il a vu des enthousiastes l’abandonner rapidement, il a senti des réticences chez les disciples de Jean-Baptiste, des perplexités chez Jean-Baptiste lui-même : «Es-tu bien celui qui doit venir ?» L‘indifférence de certaines bourgades l’a beaucoup affecté : « Malheureuse Chorazin ! Malheureuse Bethsaïde !» Dans ce contexte, la parabole du semeur symbolise le constat de Jésus, lucide et pourtant loin d’être découragé : Le Royaume est annoncé mais peu l’accueille. La parole est proclamée, mais peu l’entendent, la laissent agir au fond d’eux-mêmes.
Frères et sœurs, peut-être est-ce l’occasion pour nous aujourd’hui de nous repositionner face à la parole de Dieu ? Est-ce que je l’écoute ? Est-ce que je la laisse m’interpeler ? Est-ce que je lui obéis ? Ce que nous lisons en ouvrant notre Bible, ce n’est pas une parole sur Dieu, c’est la Parole de Dieu. Seul Dieu peut nous parler de lui-même. La Sainte Écriture n’est donc pas un livre, c’est le sacrement de la Parole de Dieu. Dieu se révèle à moi par sa Parole. C’est lui qui me parle, me console, m’exhorte, me relève. Parcourir les Écritures, c’est chercher le Ressuscité comme la Bien-Aimée du Cantique qui sillonne les rues de la ville à la recherche du Bien-Aimé. Lire la Parole à la lumière de l’Esprit, c’est vouloir rencontrer le Ressuscité.
Sans la Parole, tout s’épuise alors que la Parole nous nourrit et se nourrit de nous par le terreau de notre humanité. Plus nous laissons la Parole résonner en nous, plus le Christ prend corps en nous. Comme le dit Élisabeth de la Trinité, nous devenons une humanité de surcroît en laquelle Jésus renouvelle le mystère de son Incarnation. Peu à peu, le Christ grandit en nous. «Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi» dit Paul. La parole méditée nous conduit à la prière qui est rencontre avec Celui que notre cœur aime. Il n’y a plus à parler mais à accueillir la présence de l’Ineffable.
La Parole de Dieu est Chemin vers Dieu mais, comme l’explique Jésus par la parabole, tout dépend de notre disposition intérieure.
– Parfois, comme les grains tombés au bord du chemin et que les oiseaux viennent dérober, nous entendons les mots de l’Écriture mais ils restent lettre morte, ils disparaissent tout de suite car nous ne sommes pas prêts ce jour-là à entendre une parole vivante. Nous désirons recueillir de belles pensées ou des idées au lieu de partir à la rencontre de quelqu’un, qui est vivant et qui donne la vie.
– Dans d’autres circonstances, la graine germe mais la jeune pousse est brûlée par le soleil avant d’avoir pu grandir, nous dit Jésus. On peut reconnaître dans cette image l’enthousiasme des débuts. Il est vrai qu’au commencement, on peut trouver beaucoup de consolation dans la Parole de Dieu et la prière. Mais il faut de la persévérance. Il ne suffit pas de suivre le Seigneur quand c’est agréable et facile. Il nous attend aussi dans l’épreuve et la nuit. Il y a une connaissance profonde de Dieu qui ne s’acquiert que par une longue et inlassable fréquentation de l’Évangile, lu et relu, médité et remédité. Jésus ne se contente pas de nos ferveurs passagères : il attend nos fidélités.
– Qu’en est-il alors de la plante qui a réussi à se développer mais qui est étouffée par les mauvaises herbes ? Jésus nous parle symboliquement des soucis du monde et de l’illusion de la richesse qui étouffent la Parole. Il faut savoir choisir. «Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’argent» (Mt 6,24). La découverte de Dieu est une merveilleuse aventure qui demande notre engagement total. Le refus de changer de vie, la tiédeur annihilent l’action de la Parole rédemptrice en nos vies. C’est le combat entre la chair et l’esprit. «Mes paroles sont esprit et vie» dit Jésus. Elles viennent unifier notre être, corps, âme et esprit. Nous passons alors de l’homme charnel à l’homme spirituel.
– Enfin, Jésus conclut la parabole par la semence tombée dans la bonne terre et qui donne du fruit à raison de cent, ou soixante ou trente pour un. Tout ce qui précède avait de quoi nous décourager. Mais voilà que d’un seul petit grain de blé peut sortir cent grains de blé. L’optimisme est de rigueur ! Rien ne peut arrêter la fécondité de la Parole de Dieu. Dieu laisse finalement à chacun de nous la capacité de libérer la toute-puissance de sa Parole ou de la ligoter ; de rendre possible le centuple ou de le compromettre. Le centuple opéré par la Parole rappelle un autre centuple de l’Évangile : celui que Jésus a promis à qui renonce à tout ce qu’il possède. Écouter la Parole ou renoncer à tout ce que l’on possède, c’est s’ouvrir au même centuple de fécondité. Car finalement, pour écouter vraiment la Parole, il est demandé d’être disponible pour elle seule. La Parole est notre seule puissance dans l’impuissance, notre seule richesse dans la détresse, notre seul appui quand tout s’écroule autour de nous et en nous. «Le ciel et la terre passeront, dit Jésus, mais mes paroles ne passeront pas.»
Frères et sœurs, le semeur est sorti pour semer : c’est Jésus qui sème sa Parole sans relâche. Notre cœur est la terre qu’Il arpente, le champ qu’Il féconde par sa parole d’amour, par sa propre vie qu’Il y dépose. Que son Esprit nous donne d’être assez disponibles afin que sa Parole puisse renouveler en nous ses merveilles.
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