Dix jeunes filles dans le noir ! Seule la lumière d’une lampe à huile chasse les ténèbres dans lesquelles elles sont plongées. Ces jeunes filles nous rappellent que notre vie sur cette terre n’est pas une vie en pleine lumière. Nous cheminons à tâtons dans l’obscurité. Oui, il existe un au-delà du visible qui est un bonheur espéré, un bonheur au goût de noces éternelles. Mais nous ne sommes pas encore dans la salle des noces. Nous sommes encore loin du bonheur, de la chaleur et de la joie. Nous sentons la pénibilité du sentier à parcourir. Mais si nous sommes là, c’est que nous avons la lampe que Dieu nous a confiée. Cette lampe allumée, c’est notre foi. La chaleur qui en rayonne est l’amour que nous portons à Dieu, à nous-mêmes et à ceux qui ont été placés sur notre route. La lumière qui rayonne de la lampe est l’espérance qui éclaire notre route.
La lampe à la main, nous avançons dans ce temps marqué par l’inévidence. Nous sommes sur le chemin et nous savons bien que nous sommes de notre temps. Nous ne pouvons pas nous en extraire. Il nous rattrape sans cesse avec son lot de grandeurs et de misères. Aussi notre chemin n’est pas idéal. Nous participons d’un monde déchiré et fragmenté. Nous-mêmes avons connu des échecs, des désillusions. Nous savons qu’il y a à l’intime de nous-mêmes des incertitudes et des hésitations. Nous avons appris que la perfection rêvée n’est pas notre lot car notre cœur est habité par des désirs contradictoires. Mais il y a cette lampe en nos mains, cette lumière dans le cœur, qui nous donnent la liberté et nous arrachent au vertige de la destruction.
Cette lampe libère la chaleur et la lumière : c’est-à-dire l’amour auquel nous ne saurions renoncer. Nous les gardons précieusement dans tous les actes quotidiens que l’amour implique. Cette lumière nous permet d’avancer sur un chemin non tracé. Nous l’improvisons à travers les tâtonnements, mais nous avançons sans renoncer à ce qui nous attache à la vie : l’amour plus fidèle que la mort. Aussi lorsqu’à nos réunions de famille prennent place à notre table ceux qui ont connu l’échec, l’errance, le divorce, nous les aimons d’un amour plus prévenant. Lorsque nous voyons les jeunes vivre ce que nous ne saurions accepter pour nous-mêmes et qui nous heurte, nous ne cessons pas de les aimer. Ce serait éteindre la flamme qui fait l’humanité humaine, déserter le combat ou s’enfermer dans un esprit de secte. Pourrions-nous éteindre l’amour qui fait notre dignité et notre raison d’être ?
Or, sur ce chemin, nous découvrons que nous ne sommes pas seuls. Quelqu’un marche avec nous. Il a pris place à la table des pécheurs. Il a connu l’exclusion. Il a été en prison. Il fut couronné d’épines et a porté la croix d’infamie. Nous découvrons qu’il est avec nous sur notre chemin d’en bas.
C’est lui qui nous parle au long de la route. C’est lui qui est la source de la flamme qui éclaire notre route. C’est lui qui fait de notre chemin d’humanité douloureuse un chemin de vie.
Mais sa parole n’est pas complaisante, comme le montre la fin abrupte de la parabole de ce jour. Ce n’est pas parce que nous sommes dans le noir qu’il faut en devenir complice et laisser s’épuiser nos réserves quand le temps se fait long. Manquer d’huile, c’est renoncer à une foi active, charitable, dirigée vers l’avenir. Serions-nous de ceux qui ne se soucient ni des uns, ni des autres, ni de la durée, ni de l’avènement du Seigneur ? Le manque d’huile illustre une foi sans chair, exclusivement spirituelle.
Or c’est l’amour qui alimente la vigueur de la flamme de notre lampe. L’amour ne s’achète pas. « Qui offrirait toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour ne recueillerait que mépris », dit la Bien-Aimée du Cantique (8,7). L’amour se renouvelle au jour le jour dans les cœurs sincères. L’amour ne s’acquiert pas. Il est un lien durable qui s’éprouve dans l’attente, dans la veille de l’Epoux qui vient. Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. Frères et sœurs, connaissons-nous vraiment le Seigneur ? Avons-nous appris à l’aimer et à nous convertir à sa parole ? à sa justice ? à sa volonté ? Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux (Mt 7, 21).
« Je ne vous connais pas » : dure est la parole du Seigneur mais rien n’est perdu. Son appel à la conversion retentit chaque jour. Et son Corps que nous allons recevoir dans cette eucharistie ravive la flamme de notre foi. Nous renouvelons notre réserve d’énergie pour aller de l’avant, plus fort, plus libre et mieux assuré sur le chemin où l’Esprit nous guide. Nous allons vers le Père qui nous appelle à entrer dans la salle des fêtes quand toutes choses seront accomplies, au-delà du prévisible. Mais l’espérons-nous vraiment ?
(d’après une homélie de fr. Jean-Michel Maldamé, o.p., Rangueil, 7 novembre 1999)
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