Toutes les portent sont verrouillées.
Bien sûr, l’évangéliste parle des portes du Cénacle.
Mais sans aucun doute, il s’agit aussi pour les disciples des portes de leur cœur.
Les disciples ont peur. Et ils sont sous le choc.
La Passion de Jésus les a dispersés.
Au soir de Pâques, les voilà réunis physiquement, mais ils sont bien loin de former un seul corps,
tant ils sont marqués en profondeur par le traumatisme de la mort du Seigneur.
Tout est verrouillé en eux. Et ainsi, aucune communion n’est possible.
Et Jésus vient, et il est là au milieu d’eux.
Le Ressuscité prend l’initiative. Et comment ?
Il vient non en traversant les murailles, mais en faisant irruption au milieu d’eux.
C’est à dire qu’il se rend présent au milieu de leur traumatisme,
au milieu de leur peur et de leurs blocages.
De la même manière qu’il a jaillit du tombeau,
le voilà qui fait irruption sur le lieu de leur souffrance.
Il se dresse au milieu de ces hommes bouleversés, et il leur donne sa paix.
Jésus leur fait vivre une transformation radicale
qui les fait passer de l’abattement à la paix profonde.
Il souffle sur eux et répand l’Esprit Saint en leur cœur.
L’Esprit ancre en eux sa Présence si bien qu’elle ne pourra plus être déracinée.
Ils reçoivent le don de la foi, qui est un don de l’Esprit et non une conséquence psychologique.
Il me semble qu’en considérant ce que vivent alors les apôtres réunis,
on comprend immédiatement que Thomas ne pouvait pas recevoir leur témoignage.
Ils lui disent : Nous avons vu le Seigneur !
Mais est-ce vraiment la manière juste pour rendre compte de ce qu’ils viennent de vivre ?
Ni Thomas ni personne ne peut recevoir cette expérience de l’extérieur !
La question n’est pas de voir !
Ce que viennent de vivre les apôtres n’est pas une apparition,
mais bien le Vivant qui les a visité au plus intime de leurs cœurs abattus.
Thomas, lui, est encore tout verrouillé par la souffrance.
Ce n’est pas quelques paroles enthousiastes qui pourraient suffire à le sortir de son enfermement.
Quiconque a jamais vécu ce genre de choc traumatique sait bien qu’on n’en sort pas par une simple consolation. Le cœur de Thomas est détruit, il n’est que tas de ruine.
C’est ce qu’il exprime à sa manière : la marque des clous, la plaie dans le coté de Jésus,
ces plaies sont inscrites aussi en sa propre chair.
Seule la visite du Vivant dans ces profondeurs peut déverrouiller son cœur meurtri.
C’est d’ailleurs la même chose qui arriva à Marie de Magdala,
elle a eu besoin de toucher son Seigneur. Rien d’autre ne pouvait la convaincre.
Et dans l’évangile de Luc, la pédagogie du Ressuscité vis à vis des disciples d’Emmaüs
consistera aussi à ouvrir leur cœur à l’expérience de sa Présence :
Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous ?
Jésus va donc toucher Thomas comme il a touché les autres : il le touche au cœur.
Il le retourne complètement en l’invitant à toucher ses plaies.
Ou plutôt, nous l’avons dit, à le laisser toucher ses meurtrissures à lui.
Là où la mort était entré en lui, là il le rejoins.
Jésus dit à Thomas : Parce que tu m’as vu, tu crois.
Nous avons bien remarqué qu’en réalité, la question n’était pas de voir,
mais bien de toucher et d’être touché.
Jésus lui-même joue sur les mots quand il dit à Thomas :
Avance ton doigt ici, et vois mes mains.
Il invite Thomas à voir avec son doigt !
Le voir dont il s’agit consiste en réalité
en une expérience intérieure et très personnelle du Christ.
Une visitation qui saisi la personne depuis ses profondeurs
comme pour aligner et relier tout son être sur le Ressuscité.
Ce qu’on appelle la foi, ici, relève du dynamisme qui fait s’écrier : Mon Seigneur et mon Dieu !
Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu.
Beaucoup prennent la réplique de Jésus comme un reproche à Thomas :
Mais est-ce bien le sens voulu par l’évangile ?
Je me demande si cette phrase, en réalité, ne s’adresse pas à nous,
c’est-à-dire à tous les témoins qui suivent,
et qui doivent accompagner les autres pour les aider à faire cette expérience.
L’évangéliste continue :
Ces signes ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Les témoins doivent devenir des signes qui ouvrent les cœurs fermés
pour qu’ils reçoivent ce dynamisme de la foi par l’irruption du Ressuscité au milieu de leur vie.
Pour faire signe ainsi, il faut susciter en nos frères et sœurs une rencontre au cœur de leur vie.
On ne peut le faire de l’extérieur, comme de loin.
On doit pouvoir s’approcher du lieu de leur souffrance avec une infinie délicatesse
De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie.
Jésus confie cette mission aux disciples à qui il a fait faire l’expérience de sa résurrection.
C’est une mission de réconciliation des cœurs meurtris :
il s’agit d’aller offrir la paix du Ressuscité
et permettre que chacun puisse être touché par le Seigneur.
Les belles paroles ne sont peut-être pas le meilleur moyen,
car elles restent extérieures aux enfermements et n’y pénètrent pas.
Chacun doit trouver comment devenir ce signe vivant du Ressuscité
qui peut toucher le lieu de l’enfermement pour y ouvrir au Souffle de l’Esprit Saint.
Le livre des Actes des Apôtres ne dit pas autre chose :
On allait jusqu’à sortir les malades sur les places : ainsi, au passage de Pierre,
son ombre couvrirait l’un ou l’autre. Et tous étaient guéris.
Pierre et les apôtres sont devenus des signes efficaces du Christ
Ce premier dimanche après Pâques est appelé le Dimanche de la miséricorde.
Avec Thomas, on comprend bien comment la miséricorde de Dieu vient à la rencontre de chacun.
Cette miséricorde pascale est double :
d’une part, la Passion et la Résurrection du Christ scelle le pardon pour tous ceux qui reçoivent le baptême,
et d’autre part, le Ressuscité envoie tous ses disciples comme des témoins
au devant de ceux qui sont loin et de tous ceux qui sont enfermés dans leur souffrance.
A nous d’apprendre à devenir ces témoins
capables de rejoindre nos frères et sœurs dans le lieu de leur enfermement ;
à nous de devenir des hommes et des femmes plein de foi
pour croire que le Christ est capable de retourner chaque cœur aussi blessé soit-il.
Seigneur, nous t’en prions :
Que l’eau vive de la Résurrection coule largement sur le monde ;
que la miséricorde ne cesse de jaillir de ton Cœur pour rencontrer tous les cœurs ;
que le Souffle du Ressuscité renouvelle la face de la terre.
Amen, amen, alléluia !