Quand Jésus parle du Royaume
Homélie de fr. Grégoire  |
le 22 juillet 2023  |
Texte de l'évangile : Mt 13, 24-43

Le but de Jésus, quand il nous parle en paraboles,

c’est de nous faire entrer dans la connaissance des mystères du Royaume.

Cette connaissance du Royaume de Dieu n’est pas d’abord d’ordre intellectuelle :

il s’agit plutôt d’une perception intérieure, d’une intelligence spirituelle

qui nous fait ressentir l’action de Dieu dans notre vie et dans le monde.

 

Jésus dit lui-même qu’il vient pour proclamer les choses cachées depuis les origines.

Ces choses resteront pour partie cachées à l’intelligence,

mais le cœur de l’homme est rendu capable d’accueillir ces mystères

grâce à l’intervention de l’Esprit Saint.

 

Sur terre, en effet, on ne peut parler du ciel que par image,

et ces images sont à recevoir par le cœur, avec la simplicité des petits.

 

Les trois images que Jésus nous présente aujourd’hui

évoquent toutes la croissance du Royaume de Dieu

au sein d’un monde si peu préparé à l’inouï de la nouveauté divine.

 

Dans chacune de ces images, Jésus y souligne un paradoxe :

 

Dans la première, la semence de Dieu déploie sa croissance au milieu de l’ivraie.

Ce n’est pas Dieu, mais son ennemi qui a semé l’ivraie dans le champ.

Mais Dieu la laisse croître pour ne pas mettre en danger le bon grain.

 

Dans l’image de la graine de moutarde,

le Royaume de Dieu, à ses débuts, est comparée à une semence minuscule et presque insignifiante,

mais c’est pour dépasser finalement toutes les autres plantes.

 

Enfin, dans l’image du levain, Jésus souligne la nouveauté de sa venue :

la Pâque juive est célébrée avec du pain sans levain,

et le levain, dans la Bible, évoque la corruption et la pourriture dont il faut se débarrasser.

Selon notre intelligence, il faut être pur et digne pour le Royaume de Dieu.

 

Et voici que le levain de la Pâque chrétienne n’est plus une corruption rédhibitoire,

ce levain est même enfoui dans la pâte, et il la fait lever tout entière.

 

Ouvrons donc les oreilles de notre cœur pour entendre !

L’image de la semence, d’abord.

 

On sait depuis la parabole du semeur, que cette semence est la Parole vivante de Dieu,

et cette Parole vivante qui s’est faite chair et a été semée dans notre monde, c’est Jésus lui-même.

 

Jésus se compare lui-même au grain de blé tombé en terre,

ce grain divin qui doit mourir pour porter beaucoup de fruit.

Il a voulu être la plus petite des semences en naissant dans la crèche.

Il est resté silencieux pendant 30 ans, en travaillant de ses mains comme tout homme ordinaire.

Il est mort, enfin, dans l’abaissement le plus total, humilié et anéanti.

 

Aujourd’hui encore, la présence du Christ dans son Église ne peut pas être triomphante :

l’évangile est une lumière puissante,

mais sa puissance n’est perceptible que pour ceux qui reçoivent cette Parole  avec humilité

et profondeur.

 

La communauté chrétienne elle-même reste fragile et pécheresse.

Pourtant, une puissance de vie s’y déploie, sans bruit, sans splendeur, mais avec force,

comme de l’intérieur de notre condition humaine.

C’est dans la nature même du Royaume d’être une semence petite et humble.

 

Par sa mort sur la croix, Jésus s’est aussi fait levain et ferment.

La mort est la corruption par excellence.

Elle est le signe le plus angoissant de notre condition humaine, ce que la Bible appelle la chair.

Mais ce ferment fait travailler toute la pâte,

il la fait entrer dans un processus de transformation profonde, jusqu’à cœur :

car c’est la mort de Jésus qui sert de passage vers la vie de la Résurrection.

 

Le contraste est fort entre les démarches de purification qui caractérisent l’ancienne alliance

et qui sont symbolisées par les pains sans levain,

et le processus dans lequel Jésus nous engage.

 

Paul dira que Jésus s’est fait péché pour nous sauver.

Il s’est laissé immergé dans toutes les contradictions et les corruptions de notre humanité,

jusqu’à ployer sous le poids de nos péchés à Gethsemani,

lui qui pourtant est le seul sans péché.

 

Et c’est afin de faire jaillir la puissance de la vie divine,

comme de l’intérieur le plus intime de notre humanité.

La résurrection agit, non pas comme un désinfection, mais à la manière d’un ferment !

 

Dieu n’a pas peur de nos impuretés,

il n’a pas de répugnance à les transformer en fruits pour le Royaume.

Avec Dieu, même l’ivraie peut stimuler et servir au développement du Royaume !

Le Royaume de Dieu est donc comparable à du levain enfoui, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé.

 

Mais cette bonne semence de Jésus doit donc croître au milieu de l’ivraie.

Le mot grec, traduit ici par ivraie, se dit zizania.

On parle du semeur de zizanie…

 

Les serviteurs de la parabole voudraient arracher l’ivraie pour rendre au champ sa pureté initiale.

Le maître, lui, demande à ce qu’on laisse le processus de croissance se dérouler jusqu’à maturation.

Maturation du blé, mais aussi maturation de l’ivraie.

 

Ce n’est pas nécessairement ce que ferait peut-être un jardinier avisé.

Mais Jésus, ici, ne donne pas de leçon d’agriculture : il parle du Royaume.

Si une tige d’ivraie ne deviendra jamais un épi de blé, il en est autrement dans l’économie divine :

la puissance de la Résurrection peut transformer tout pécheur en saint !

Et c’est là la bonne nouvelle.

 

En réalité, il n’a a aucun être humain, absolument aucun, qui ne soit pas un pécheur.

La seule bonne semence, c’est Jésus.

Et sans lui, nous serions tous de l’ivraie bon pour être brûlé.

 

Dieu a confiance en la puissance qu’il déploie en envoyant son Fils Jésus :

puissance tout à la fois insignifiante au regard des hommes,

et sans limite dans le domaine de la grâce.

 

Dieu est tout à la fois totalement confiant et infiniment patient.

 

Tout n’est pas joué pour autant. Il y faut aussi notre part,

et notre liberté est aussi mystérieuse que l’est la patience de Dieu.

 

Aussi Dieu ne cesse de nous répéter : Tu as devant toi la vie et la mort : choisis donc la vie !

Et à Caïn qui se trouve abattu par la tentation, le Seigneur dit :

Le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer.

 

Notre part dans ce processus de maturation et de fermentation,

c’est le choix de la vie et la domination du mal.

 

Chacun est travaillé de l’intérieur entre la puissance de résurrection et le péché tapi à notre porte.

Choisis donc la vie ! dit Dieu.

Si tu choisis la vie, ce n’est pas par tes forces que la vie viendra à maturité,

mais par la force vitale de mon Esprit Saint.

 

Ainsi que le dit Paul dans la deuxième lecture :

Dieu voit le fond des cœurs, il connaît les intentions de l’Esprit.

Il sait qu’en intervenant pour les fidèles, L’esprit veut ce que Dieu veut.

Et Dieu veut que tous les hommes soient sauvés.

 

En voyant le champ infesté par l’ivraie,

on pourrait désespérer et rêver d’une culture parfaite mis à l’abri dans une serre.

Or Dieu ne nous met pas sous serre, il nous laisse dans le champ corrompu,

mais il y enfoui ce grain de blé mort et ressuscité pour devenir pain vivant.

 

Avec nos yeux de chair, comment ne pas avoir peur ?

Ouvrons plutôt les oreilles de notre cœur.

L’Esprit Saint nous donnera de voir que le champ est déjà mûr,

que la Vie fait son œuvre au milieu de nous.

 

Car tout est possible à Dieu,

et il a choisi de donner la vie à l’homme corrompu par le mystère de son humble Royaume.

© FMJ – Tous droits réservés