« Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! », prophétise Isaïe (Is 9). Tout le peuple d’Israël attendait de génération en génération cette naissance. Toute l’Ecriture Sainte est tendue vers cette nativité, vers ce neuf qui advient. Mais est-ce si évident d’accueillir la nouveauté ?
Noël interroge en effet notre disposition à accueillir ce qui est nouveau. Ne serions-nous pas persuadés qu’accueillir le nouveau est simple tellement nous semblons y aspirer ? On nous vend si facilement un nouveau modèle, un nouveau produit, une nouvelle formule, une nouvelle politique. Mais vendre et acheter, consommer, ce n’est pas accueillir. Accueillir, c’est s’ouvrir à ce qui vient, recevoir et faire hospitalité à ce qui se découvre et que nous ne connaissions pas. L’obsession mercantile du monde contemporain pour la nouveauté n’est que la peur de s’ouvrir à l’inattendu sans lequel rien de nouveau ne paraît sous le soleil.
Or le nouveau, pour être reçu, exige de nous interroger sur l’événement, le bouleversement en nous qui seul permet de reconnaître l’inattendu, l’inespéré. La foi chrétienne est de cet ordre-là. Elle est une reconnaissance intime d’un neuf qui nous fait découvrir ce que nous ne voulions ou ne pouvions pas voir, ni rencontrer. Le nouveau, dans son apparition, provoque une mise à nu de nous-mêmes.
Nous avons tous fait un jour ou l’autre une telle expérience. Nous y avons pleinement adhéré ou nous avons préféré nous en détourner. Cette force de descellement que vient provoquer en nous le surgissement du nouveau, c’est la force d’aimer. Ce qui est neuf sollicite, pour être reconnu, notre puissance d’aimer. En aimant, nous reconnaissons et nous sommes reconnus. En aimant, nous accueillons l’autre dans sa vérité et nous sommes en même temps dévoilés.
Pourtant, une telle sollicitation, si nous l’espérons souvent, nous la redoutons aussi beaucoup. Nous fabriquons mille et une ruses pour l’éviter. Nous préférons répéter plutôt qu’accueillir. Quand nous sommes dérangés, délogés, quand nous sommes appelés depuis un ailleurs, nous répétons pour éviter l’inattendu. Les nouveaux produits du monde ne sont souvent que des répétitions habiles, aptes à satisfaire notre incurable besoin du même. Or faire « toutes choses nouvelles », comme le dit le livre de l’Apocalypse (21, 5), ce n’est pas répéter ; c’est accepter de récapituler, de tout récapituler dans le Christ (anakephalaiôsasthai ta panta en tô Christo, Ep 1, 10). Littéralement, le mot grec « récapituler » signifie « redonner une tête » (kephalè), réunir sous un seul chef, rassembler pour former une nouvelle direction, un sens nouveau à tout ce que nous sommes, ce que nous connaissons et expérimentons.
Noël est un saisissement. L’accueil de cet Enfant qui nous ouvre ses bras en cette nuit vient réunir fraternellement tout ce que nous sommes, ce que nous avons vécu et vivons, les uns et les autres. La surprise et l’inoubliable de ce neuf qui advient ne détruit pas ce qui était. Au contraire, le nouveau lui-même est cette force d’accueil et d’hospitalité de tout ce qui, depuis des générations, est devenu encombrant, voire sujet de perplexité. Si révélation il y a, elle porte sur ce que, de nous-mêmes, nous ne voulions pas reconnaître. Alors seulement, le neuf se découvre. Saint Paul, dans sa lettre aux Éphésiens, le précise admirablement, ce mouvement de récapitulation dans le Christ est une puissance de paix et de réconciliation. Accueillir « toutes choses nouvelles », c’est faire la paix, entre nous, avec nous-mêmes, c’est « tuer la haine » (Ep 2,16). Le neuf est renaissance, renouveau.
En ce Noël si douloureux dans tant de régions du monde frappées par la guerre, la nouveauté de l’avènement de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous, provoque notre foi. La paix chantée par les anges à Bethléem est possible si l’amour nous presse, comme dit encore l’apôtre Paul. Si le Christ est la boussole de notre vie, celle-ci s’orientera vers le bien, vers l’union des cœurs. Osons nous laisser dévisager par le visage de ce nouveau-né. Osons sortir de nos peurs pour vivre l’Evangile. Osons dépasser nos rêves. Le Christ est là, il nous appelle.
(d’après un bloc-notes de Frédéric Boyer, La Croix l’Hebdo, 8-12-2020)
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