Voici le signe qui vous est donné, dit l’ange aux bergers :
vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.
Un signe bien insignifiant, pourrait-on dire.
Or, pour ces hommes de la solitude et de la pauvreté que sont les bergers, ce signe prend tout son sens !
Mais pour nous, qui vivons dans un certain confort,
avec abondance de victuailles et saturation d’informations,
que peut bien vouloir dire l’ange de Dieu avec ce signe ?
En soit, la naissance d’un enfant qu’on ne connaît pas est insignifiante.
Surtout d’un enfant pauvre et couché dans une mangeoire !
Des enfants, il en naît chaque année, dans le monde, environ 140 millions…
Si bien qu’une naissance ne peut faire signe que pour ceux qui sont concernés.
L’événement de Noël aurait donc dû être un non-événement.
Pas de quoi bouleverser le cours des affaires ou les milieux du pouvoir.
Pourtant, 2 millénaires après, cet anniversaire interrompt soudain le cours du monde
et met en fête tous les hommes, même les non-chrétiens.
Et ce fragile tout-petit ne cessera de remuer l’univers jusqu’à la fin des temps,
il ne cessera de le troubler de l’intérieur, de travailler les entrailles du monde
jusqu’à ce qu’un monde nouveau soit enfanté en lui.
Il s’agit d’une naissance.
Comme toute naissance, les commencements sont ténus.
Mais chaque naissance est porteuse d’une promesse,
d’un avenir d’autant plus irrésistible que la promesse, ici, vient de Dieu.
Il s’agit d’un nouveau-né.
Avec tout ce qu’il peut y avoir de disproportion entre la naissance d’un petit-enfant pauvre à Bethléem
et le pouvoir absolu d’un empereur Auguste et de son administration impériale.
Dans sa grandeur, le souverain absolu décide de recenser toute la terre,
de mettre sous contrôle tous les hommes.
Quant à cette naissance insignifiante, seuls quelques bergers, passant la nuit dehors, en sont témoins.
Pourtant c’est bien le premier qui s’avère être insignifiant : qu’a-t-il changé au monde, cet empereur ?
Alors peut-être que ce nouveau-né, emmailloté et couché dans une mangeoire
est d’abord le signe essentiel qu’il faut au monde pour comprendre Dieu : le signe de son humilité.
Le Dieu Tout-puissant choisit d’entrer dans le monde par la petite porte,
sans faire de bruit, sans revendiquer un rang sinon la dernière place.
Sans grandeur sinon celle de la promesse d’une vie.
A y regarder de près, cette promesse est aussi celle d’un rassasiement.
Bethléem, nous le savons, veut dire en hébreu maison du pain.
Comme si l’enfant, déposé dans la mangeoire, était déjà offert en nourriture eucharistique.
Ceci est mon Corps, livré pour vous !
Une naissance opère toujours dans le secret ;
les commencements sont cachés, emmaillotés dans la fragilité.
Mais de quel commencement s’agit-il ?
Est-ce la naissance de l’Homme ?
Mais les hommes naissent depuis des millions d’années,
l’homme n’en finit pas de naître, de naître encore et encore,
sans arriver pourtant à émerger à la vie, sans pouvoir trouver la liberté de vivre debout et en paix.
Est-ce la naissance de Dieu, alors ?
Mais Dieu est de toujours à toujours.
Lui n’a pas besoin de naître : il est, un point c’est tout.
Ne serait-ce pas la naissance d’une rencontre, plutôt ?
Une rencontre entre l’Homme et Dieu, une rencontre inédite et qui change le cours du monde ?
Certes, ce n’est pas d’aujourd’hui que Dieu vient à la rencontre de l’Homme :
Dieu a créé l’homme, Dieu lui a parlé, Dieu s’est manifesté…
Ce n’est pas nouveau non plus que l’homme cherche à rencontrer Dieu :
l’homme prie, il supplie, il espère…
Mais en cette nuit, la rencontre prend une tournure toute nouvelle !
Le Créateur de tout chose vient et entre dans le monde en épousant sa nature.
Il choisit de devenir nouveau-né, petit d’homme, vulnérable et marginal,
afin de rencontrer l’humanité non d’en-haut, mais de l’intérieur.
Il devient l’un de nous, tellement humain que Lui seul est pleinement homme.
Le Tout-Puissant se dépouille de sa gloire et l’Éternel entre dans le temps,
il entre par la porte de derrière… Qui pouvait bien l’attendre par là ?
Quelle rencontre !
Un petit corps de chair de rien du tout supplie le monde de le recueillir et de prendre soin de lui.
Il n’attend pas qu’on soit méritant, vertueux, ni même pieux.
Il suffit d’ouvrir son cœur et ses mains, de manifester un peu de tendresse…
Dieu rencontre les habitants du monde sur le terrain de leur humanité la plus fondamentale.
Ce qu’il sollicite en cette nuit, aucun homme, aucune femme n’est en incapacité de le donner.
S’il fallait que Dieu descende si bas, c’est qu’en vérité, nous sommes nous-aussi tellement pauvres,
tellement petits, et si cabossés par le péché, c’est-à-dire par cette incapacité à aimer vraiment.
Ce que Dieu donne donc à contempler, ce n’est pas sa grandeur ou sa magnificence,
c’est l’humilité d’un Amour infini, la petitesse d’un Mendiant d’amour !
Voilà Dieu désarmé devant nous, le voilà plus bas que nous,
mendiant notre réponse, proposant une rencontre.
En définitive, cette rencontre de l’incarnation à Noël est la seule qui pouvait nous combler.
Sans bruit, elle donne la Vie à nos cœurs,
elle soulève le monde en y insufflant la semence de l’Amour véritable, jusqu’à unir la terre avec le ciel.