Au moins trois fêtes de l’année liturgique nous font explicitement proches de Saint Joseph. Juste après Noël la fête de la Sainte Famille, le 1 mai la fête de Saint Joseph Travailleur, puis en ce jour, le 19 mars la solennité de Saint Joseph, époux de la Bienheureuse Vierge Marie.
On peut dire que chaque fois nous abordons notre patriarche d’un point de vue complémentaire. En tant que père de famille, en tant qu’homme du travail, employé sur les chantiers de la Galilée, en tant qu’époux d’une femme extraordinaire. Aujourd’hui, si vous voulez bien, considérons le tout simplement comme un homme. Comme un homme au prise du mystérieux dessein de Dieu. Un homme comme un autre, à la fois proche du mystère divin et dépassé par lui. Un homme dont la sainteté ne se dessine pas seulement à travers les rôles qu’il assume dans sa vie, mais aussi dans ce qu’il est par lui-même. En effet, Saint Joseph est par la Tradition considéré non seulement comme un modèle de la paternité ou d’un travail bien accompli, mais aussi comme un modèle d’un devenir homme, dans sa masculinité, dans ses sentiments, dans son tempérament unique, dans son judaïsme, son messianisme peut être, sa prière, son sommeil. Un homme juste, dit la tradition biblique.
Je voudrais m’arrêter avec vous justement sur son sommeil. Quand j’ai travaillé au Canada à l’Oratoire de Saint Joseph du Mont-Royal, c’était l’image du Joseph dormant, gravée sur le retable de l’autel principal de la magnifique basilique, qui m’a toujours touché. C’est un thème à la fois classique et insolite… On dit : dormir du sommeil du juste. L’écrivain anglais Henry Rider Haggard évoque cela ainsi : « Se lever le matin, plein de force et de santé, remplir jusqu’au soir la tâche habituelle, se retirer ensuite sainement fatigué, pour dormir du sommeil du juste, voilà le secret du bonheur ! ».
La question de ce jour est : le sommeil de Joseph, était-il aussi un sommeil d’un juste ? Dormait-il bien ? Avec tous ces basculements, tout ce stress, tous ces imprévus et même les inconnus, que Joseph a dû affronter, pouvait-il jouir de ce bonheur ? On voit que Dieu lui-même entrait dans son sommeil ! Dieu envoyait ses anges occuper ses songes ! Et ce n’était pas des rêves légers, mais de telles expériences, qu’il était poussé à agir de manière qu’il ne s’imaginait auparavant ! Alors, pouvait-il dormir d’un sommeil du juste?
Eh bien, je pense que oui, je pense que Joseph dormait bien. Il ne se réveillait pas angoissé, il s’endormait facilement, sainement fatigué. Il ne donnait prise à des excès d’inquiétude. Juste est en effet un homme des vertus théologales : de la foi, de l’espérance et de la charité. Avec ça on dort bien. Les souffrances ne manquent jamais aux hommes justes ! Toutefois ils dorment bien. Pas satisfaits, mais libres !
Joseph était peut-être tout d’abord un gardien du bon sommeil de Jésus et de Marie. Et plus précisément de l’humanité du Verbe Incarné. Quand Jésus était bébé, quand il grandissait. Le soir à côté de Joseph couchait dans la chambre un jeune homme solide, un travailleur ordinaire, un fils bon et profond… Cependant Joseph n’a jamais vu, durant toute sa vie, je pense, un seul miracle de Jésus. Mort probablement avant même la prédication publique de son fils adoptif, il n’a jamais entendu Jésus parler en tant que prophète, sauf au temple de Jérusalem quand Jésus avait 12 ans. Oui, Joseph était un témoin privilégié des événements formidables de la conception et de la naissance de Jésus. Mais cela pouvait représenter en suite plutôt un obstacle à sa foi ! Car il assiste à presque trente ans de silence et de vie ordinaire, cachée, de cet enfant dont on a tellement parlé autrefois. Puis, rien. Les anges ne venaient plus l’instruire dans les songes.
Joseph dormait bien. Joseph avait cette liberté qui vient avec la foi, l’espérance et la charité. Il restait le gardien de la vocation messianique de Jésus, mais il n’est pas devenu un gardien inquiet, un gardien sur ses gardes, un gardien aux aguets du moindre bruit suspect. Il n’a pas spéculé sur ce qui pourrait arriver «si» … La grandeur de son exemple d’homme accompli consiste notamment en ceci : Connaissant le mystère, il le respecte comme un mystère, comme un don gratuit de Dieu.
Frères, écrit Saint Paul, ce n’est pas en vertu de la Loi que la promesse de recevoir le monde en héritage a été faite à Abraham et à sa descendance, mais en vertu de la justice obtenue par la foi… Il est notre père devant Dieu en qui il a cru, Dieu qui donne la vie aux morts et qui appelle à l’existence ce qui n’existe pas. Espérant contre toute espérance, il a cru… Et voilà pourquoi il lui fut accordé d’être juste.
Saint Joseph, comme ses ancêtres, Abraham, Joseph de l’Égypte, et même Moïse, n’a jamais vu la terre promise que de loin. Il est mort avec la promesse. Juste par la foi.
Il faut enfin ajouter, chers frères et sœurs, une chose encore. Habituellement la fête d’un saint est liée à la date de son décès. Si donc Saint Joseph est mort un 19 mars, nous fêtons aujourd’hui aussi son ultime sommeil. Il s’est endormi dans la paix. Joseph, le patron de la bonne mort, qu’il intercède pour tous ceux qui vont faire leur grand passage cette année. Qu’ils puissent s’endormir d’un bon sommeil des justes et se réveiller heureux dans le jour nouveau de la vie éternelle.