Seigneur, ne passe pas sans t’arrêter !
Homélie de fr. Benedikt  |
le 17 juillet 2022  |
Texte de l'évangile : Lc 10,38-42

Chers frères et sœurs, Abraham a 99 ans. Père, depuis 13 ans, du jeune Ismaël… Que Dieu lui ait promis un autre fils, qui doit naitre de sa femme Sara, cela lui semble être un rêve. Que fait donc Abraham en cette journée chaude, au milieu de la journée, à l’entrée de la tente ? Il somnole certainement, assis dans sa chaise garnie de tapis, et la réalité et le rêve s’entremêlent en lui. Il entend les pas venant du désert. Qui voyagerait en cette heure torride ? Est-ce un rêve ? Trois hommes s’approchent et s’arrêtent à l’ombre d’un chêne du bosquet de Mambré. La loi sacrée du désert de l’hospitalité éveille le coeur d’Abraham : «Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre et se prosterna jusqu’à terre en disant : «Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur!»

Voilà la prière qui précède un repas commun. Une prière eucharistique d’Abraham ! Son Kyrie eleison, avant la fête qu’il veut maintenant préparer pour le Seigneur. Abraham se hâte, tous se hâtent et courent, pour servir l’hôte mystérieux. «Fais comme tu l’as dit.» Mais ensuite il s’arrête, se tenant debout près d’eux, pour goûter d’abord à la présence du Seigneur. À nous de méditer, chers frères et soeurs, cette anaphore eucharistique d’Abraham : «Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur!»

Seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de nous ! Ne passe pas sans t’arrêter ! Oui, ces paroles sortent de nos cœurs, comme un cri de ceux qui presque désespèrent de l’amour de Dieu ! Comme si c’était Lui, Dieu, qui manquait au rendez-vous providentiel. S’il-te-plait, ne passe pas sans t’arrêter… Reste avec nous Seigneur, car le jour touche à sa fin. Comme si c’était Dieu, qui manquait au rendez-vous…

L’Évangile nous enseigne alors le contraire de cette impression trompeuse. En effet, si Dieu avait juste le droit à une seule prière, à une seule demande à nous faire, peut-être choisirait-il lui aussi justement les paroles eucharistiques d’Abraham. Il dirait à tous et à chacun personnellement : Mon ami, mon enfant, ne passe pas sans t’arrêter !

Au moins une fois dans ta vie, mangeons ensemble. Arrêtons-nous ensemble. Parlons un peu. C’est en ce moment unique que se joue ton salut et ton bonheur éternel. Assieds-toi avec moi et écoute. Retiens-toi, assieds-toi, fais le silence.

Dieu le sait, chers amis, aussi bien que nous : notre vie est courte et passe rapidement. Bien sûr c’est à cause de nous qu’elle passe si rapidement. «Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire.»

Nous n’avons pas le temps d’ écouter ce que Dieu a à nous dire. Vraiment, quand on regarde sereinement notre vie, on voit clairement que Dieu n’a que quelques heures pour nous sauver. Il faut qu’il se cale sur notre horaire exigeant. Il faut qu’il vise bien, qu’il se glisse dans ce calendrier chargé, entre nos pensées et nos agitations, pour nous surprendre par sa présence. Juste au bon moment, même si cela devrait être à l’heure la plus chaude du jour. Dans une vie de 99 ans, c’est la chance 1 sur 800 000 qu’il va réussir à nous toucher !

Dieu se donne volontiers cette peine. Sinon nous passerons, sans nous arrêter. Ce petit moment d’attention, un peu forcé certes, peut en effet déterminer toute notre vie. La part qui demeure, la seule qui a vraiment du sens. Ce moment où Dieu parle et nous écoutons vraiment ! Il restera ineffaçable en nous. Cette bonne part demeure, car elle devient une présence. Saisie, goûtée, incrustée, gravée à jamais dans notre coeur. Dieu m’a parlé. Nous avons mangé ensemble. Il m’a dit des choses vraiment importantes. Solides. Qui ont du poids, pour moi. Oui, j’ai pu dire oui à la part qui ne me sera pas enlevée.

Chers frères et soeurs, Dieu a bien voulu nous faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère, parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire ! Oui, Seigneur, comment marcher sans toi ? Tu as les paroles de la vie éternelle, l’espérance de la gloire. Seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur… Amen.