Jésus s’adresse aux foules et aux disciples.
Il leurs parlent des scribes et des pharisiens en des termes particulièrement virulents.
Quel est le message de Jésus ?
Nous connaissons suffisamment le Seigneur pour nous douter qu’il ne s’agit pas d’une simple critique.
En y regardant de plus près, on distingue deux temps :
D’abord ce portrait des scribes et des pharisiens qui ressemble presque à une caricature.
Puis des conseils aux disciples.
Il se pourrait bien que la longue liste des critiques dessine en réalité un portrait en négatif.
Jésus explique d’abord ce que le disciple doit éviter,
afin qu’il puisse mieux comprendre, dans un deuxième temps, l’attitude juste à laquelle il est convié.
Il n’est donc pas inutile de regarder de plus près ces critiques,
car elles ne concernent peut-être pas seulement les scribes et les pharisiens.
Ce sont des tendances qui guettent toute personne qui reçoit une certaine autorité, même petite.
En réalité, chacun d’entre nous.
Dès le début, Jésus rejette un écueil qui pourrait être tentant :
on pourrait se dire que, si la relation à l’autorité est à ce point risquée, il suffirait de s’en passer…
Jésus n’est pas de cet avis : il reconnaît l’autorité des scribes et des pharisiens,
ainsi que la légitimité de leur autorité :
Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse.
Tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le.
L’autorité est nécessaire et voulue par Dieu. Jésus recommande donc d’écouter ceux qui l’ont reçue.
Nous avons besoin d’apprendre pour entrer dans la sagesse,
nous avons besoin d’écouter les enseignements de ceux qui étudient et qui approfondissent.
Sinon, sur quelles connaissances pourrions-nous nous appuyer pour délimiter les questions,
pour fonder un discernement et établir les choix sur du solide ?
La mise en garde de Jésus se situe non pas sur l’enseignement, mais sur l’agir :
N’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas.
Dès ce moment-là, Jésus nous invite à effectuer notre propre discernement.
Non pas un discernement sur ce que les savants enseignent,
mais sur la cohérence entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font.
Ce discernement nous revient en propre, et il s’agit d’en repérer les articulations.
Jésus dénonce une tendance au paraître, à étaler des apparences toutes extérieures :
larges phylactères, longues franges, premières places…
On est alors dans la logique d’une exposition de soi,
là où la Parole de Dieu invite au contraire à une limitation de soi pour ouvrir à une autre Présence.
Une des images utilisées par Jésus est particulièrement signifiante :
Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ;
mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Jésus dévoile le fond des choses : le spectacle d’une justice de façade.
D’un coté, l’observation d’une loi bien maîtrisée qui donne l’image de personnes unifiés,
bien en place, à l’abri de toute incohérence.
Une manière de faire croire qu’on se situe à l’écart des luttes intérieures que les autres connaissent.
De l’autre coté, une vie qui ne touche pas à ces contraintes qu’on impose aux autres.
Au delà de la façade, à l’intérieur, on ne tient que par le regard que les autres portent sur soi.
Ainsi, on aime les premières places et les honneurs, on reste tourné sur soi-même.
On ne recherche que ce qui flatte sa propre image.
Ce portait concerne potentiellement le cœur de toute personne.
Le savoir, le pouvoir et l’autorité vont seulement servir de catalyseur :
ils dévoilent ce qui est déjà enraciné au plus profond et qui ne cherche qu’à se déployer.
Comment échapper à ce piège d’une apparence brillante
alors que le cœur est atteint par les racines du mal ?
C’est au moment où le diagnostic est posé que Jésus donne aux disciples et à la foule ses mises en garde, trois manières de tenir les rennes de ces tendances du cœur humain.
La première et la troisième sont formulées ainsi : « ne vous faites pas donner le nom de… »
et celle du milieu : « ne donnez à personne le nom de… »
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi,
car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères.
Le titre de Rabbi signifie enseignant ou maître.
Quand Jésus dit : vous n’avez qu’un seul maître, de qui parle-t-il ?
Ce maître enseignant demeure voilé. Jésus lui-même ne revendique pas cette place.
On a l’impression qu’il s’agit d’un enseignant intérieur, forcément caché,
qui informe les hommes sur la vérité de leur chemin et de leur but.
Ne serait-ce pas l’Esprit Saint qui murmure au fond de notre cœur ?
Ce qui est à remarquer ici, c’est aussi la fin de la phrase :
Vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères
Jésus associe le ‘tous frères’ à cet enseignant qui n’est pas nommé.
On aurait pu imaginer ici qu’il mentionne le Père commun qui fait les frères.
Mais non : pour Jésus, nous devenons tous frères, car nous sommes enseignés par ce seul maître.
Enseignés de l’intérieur, les frères peuvent reconnaître en chacun un mystère qui leur échappe.
Ils sont frères grâce à ce mystère qui les unit et qui leur échappe en même temps.
Ce mystère qui brise les fausses unanimités ;
vous savez : ce genre d’unité de surface qui est une caricature de la communion.
Les frères sont frères car ils sont reliés en vérité.
Ils sont frères car ils apprennent à écouter selon leur cœur et n’en restent pas à la façade ou au paraître.
Il s’agit donc de ne pas se prendre pour le maître, encore moins pour le maître intérieur,
car on usurperait le lien entre les frères.
Jésus dit alors : Ne donnez à personne sur terre le nom de père,
car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Là encore, personne ne doit se prendre pour le Donateur.
La position du père, c’est celle du don premier. Il n’y a qu’un Père.
Vous avez donc remarqué que pour Jésus, on va au Père par les frères,
et ce qui caractérise les frères, c’est cette parole intérieure que les frères ont en commun,
ce souffle qui murmure en eux : Abba.
Jésus dit enfin : Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres,
car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Jésus ne dit pas : le maître, c’est moi. Il dit : un seul maître, le Christ.
En disant cela, il indique une fonction, une mission reçue selon le choix du Père.
Ces figures de l’enseignant intérieur et du Christ se situent à l’opposé de la position des scribes et des pharisiens :
l’Esprit et le Christ ouvrent un chemin, ils mettent en route,
en même temps qu’ils relient les uns aux autres.
En dénonçant d’abord l’attitude caricaturale attribuée aux scribes et aux pharisiens,
puis en donnant ces trois conseils,
Jésus dessine un portrait, une manière d’être dans laquelle les disciples ont à entrer :
c’est celui de la fraternité.
Au sein de la fraternité,
il n’y a pas de place pour un enseignant ou une autorité qui tiendrait les autres sous tutelle.
Il n’y a de place que pour des frères qui sont au service de leurs frères,
des frères qui marchent ensemble et qui s’entraident.
Au sein de la fraternité,
Il n’y a pas de place pour un père qui aurait la prétention d’être celui qui donne et qui engendre.
Jésus lui-même s’est bien gardé de prendre cette place.
Il n’y a de place que pour des frères qui marchent ensemble vers le seul Père qui est aux cieux.
Des frères compagnons de route, dont certains font parfois figure de jalon sur la route,
mais qui se gardent bien d’être pris pour le but.
Au sein de la fraternité,
il n’y a pas de place pour un chef qui prend les décisions tout seul.
Car le seul guide, c’est le Christ. Il est le frère aîné, le premier d’une multitude de frères.
Les frères choisissent de suivre le Christ et de le faire connaître.
Et quand ils ont conduit un autre au Christ, ils savent s’effacer pour le Christ prenne toute sa place.
Selon le mot de St Irénée, la fraternité chrétienne est comme une caravane de frères.
Une caravane en marche, c’est-à-dire un synode,
où l’on se connaît de l’intérieur en écoutant ensemble l’Esprit Saint,
où on cherche ensemble quelle est la volonté du Père et comment la réaliser.
Dans une fraternité, on n’a pas peur de dévoiler sa fragilité ou ses blessures,
les frères et sœurs se soutiennent les uns les autres.
Vous êtes tous frères !
Une Église fraternité, une Église où chacun a sa place,
et où le nom de frère est le seul titre de gloire, le même pour tous.
C’est la forme de l’Église que Jésus nous indique aujourd’hui.
Frères et sœurs, que le Seigneur Jésus nous fasse entrer dans cette joie fraternelle qui rend libre.