Tout mais pas la totalité
Homélie de fr. Jean-Christophe  |
le 16 février 2025  |
Texte de l'évangile : Lc 6, 17-26

Que s’est-il passé sur la montagne ? Les Douze ont été choisis par Jésus pour être ses Apôtres, pour être avec lui et agir en son nom. Après ce moment unique dans la vie de ces douze hommes, Jésus les regardent et leur dit : vous êtes pauvres, vous avez faim, vous pleurez, vous êtes rejetés et exclus. L’enthousiasme de l’appel des Douze a peut-être été refroidi par les paroles de Jésus.

Or Jésus est tout simplement vrai avec ceux qu’il a choisis. Les disciples ont un chemin exigeant à parcourir. Ils ont deux choses fondamentales à découvrir, à comprendre, à intégrer dans leur être profond pour s’approprier la manière d’être de Jésus, sa manière de vivre dans et avec le monde comme Fils de Dieu.

Ils ont d’abord à accueillir le don de Dieu, à découvrir que l’existence qui leur est donnée gratuitement par le Père est une bénédiction puissante, d’une force inouïe. En choisissant chacun, Dieu lui dit : « Je t’aime comme un Père aime son fils ». Le Père lui donne tout.

Dieu donne tout, ai-je dit, mais pour autant Dieu ne donne pas la totalité. Là est la deuxième chose fondamentale que les disciples ont à découvrir et que Jésus exprime par les Béatitudes. Revenons au récit de la Genèse lorsque Dieu dans le jardin d’Eden formule un interdit concernant l’arbre qui est au milieu du jardin et dont on ne doit pas manger les fruits. Dieu énonce une loi d’exception : « Je te donne tout, sauf la totalité : tout est donné mais tu feras exception car le tout sans exception est mortel. Tu ne pourras jamais « tout » avoir, « tout » savoir, « tout » maîtriser, « tout » comprendre. Cela, tu dois l’accepter ». Le tout sans exception, c’est le totalitarisme et cela conduit toujours à la violence et à la mort.

En refusant de donner la totalité qui aurait aliéner la liberté humaine, Dieu a accepté la fragilité. Cette fragilité introduit une limite et donc une part de mort, de manque. Les épreuves que vont rencontrer les disciples – la pauvreté, la faim, les larmes, le rejet – sont les traces de cette limite qui n’enlève rien au tout que Dieu a donné par le don de la vie.

Cette fragilité, cette mortalité, ces limites qui nous cernent ne sont pas une malédiction, ne sont pas le contraire de cette bénédiction qu’est la vie. Elles sont plutôt la condition de cette bénédiction. En d’autres termes, Jésus doit apprendre à ses disciples la vérité dont il vit lui-même : il ne s’agit pas d’abord de conserver le peu de vie qu’on a contre la mort mais d’aller de la vie à la vie à travers la mort. En effet, « la vie ne constitue pas le contraire de la mort, elle en est la traversée permanente » (Elena Lasida).

Voilà pourquoi Jésus dit : « quel malheur pour vous, les riches, pour vous qui êtes repus maintenant… ». Vous vous croyez exempts de toute limite, de toute fragilité mais en fait, vous êtes morts d’une mort plus grave que le mort physique. Vous avez perdu la confiance en la vie donnée par Dieu et par là-même la confiance en Dieu. La mort spirituelle vous fait sombrer dans l’avidité par peur du manque.

A contrario, Jésus nous fait entrer dans la logique de surabondance permise par la foi. Déraciner en nous la non-foi pour croire en Jésus, pour croire comme Jésus qui reçoit tout de son Père, c’est dire « oui » à la vie.

La vie humaine, même vécue à fond, reste limitée. Un jour viendra la dernière maladie, celle qui ne sera pas guérie. Un jour viendra la dernière infirmité, celle qui nous conduira au tombeau. C’est à cet endroit-là qu’opère spécifiquement le travail de salut réservé aux disciples : l’apprivoisement de la mort comme passage de la vie vers la vie.

Seigneur, je te rends grâce pour le don de la vie, de la vie en plénitude. Fortifie ma foi en ta résurrection qui est la plus belle annonce que l’humanité n’ait jamais entendue (cf. 1Co 15). Fais de moi un arbre planté près d’un ruisseau qui donne son fruit en son temps (Ps 1).

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