Les textes de la Parole de Dieu, en ce jour, résonnent profondément avec l’actualité du monde !
Ils posent en effet la question de la violence,
cette violence humaine qui semble indomptable depuis les origines.
Dieu veut sauver l’humanité de cette violence destructrice.
La Bible montre en ce domaine une longue et patiente pédagogie divine.
La Parole de Dieu y propose un long chemin de guérison.
Le cœur de l’homme, depuis le péché dévoilé au début du livre de la Genèse,
est enclin à la rivalité et à la vengeance.
Cette rivalité maladive génère une violence qui ne cesse d’abîmer l’humanité,
et dont les victimes privilégiées sont les faibles, les petits,
et ceux qui ne sont pas comme tout le monde.
Mais plus généralement, le mal entraîne l’humanité dans une escalade fratricide :
au sein des familles, entre collègues de travail, entre pays, et même entre chrétiens…
Pour éviter l’emballement de la vengeance,
la première étape de la Loi divine a consisté à imposer une limite à la réponse,
à proportionner la vengeance à la réalité de l’offense :
œil pour œil, dent pour dent (Ex 21, 25).
Elle interdit les représailles exagérées, et freine ainsi la multiplication de la violence.
La loi du talion est un vrai progrès au regard d’un instinct de représailles immodérées,
et c’est sans doute par cette première étape qu’il s’agit de commencer l’éducation à la paix.
Car même à notre époque, les tentations de toute puissance aveuglent tellement
que bien de nos contemporains entrent dans des réactions totalement irresponsables !
Commencer donc par modérer et proportionner les réponses à la violence, voilà une première étape.
Mais l’équilibre de la réponse face au mal ne suffit pas :
car en réalité, le mal est étranger à tout équilibre possible ; le mal n’est as raisonnable !
Il est indispensable d’aller plus loin.
Plus loin pour éradiquer la propagation du mal,
plus loin pour arriver enfin à la fraternité réconciliée.
David, dans la première lecture, choisit de ne pas se venger de Saül,
alors même que celui-ci le persécute et en veut à sa vie ;
alors même que Dieu semble avoir livré son ennemi entre ses mains !
( Mais Dieu livre-t-il ses ennemis… ? N’est-ce pas lui qui se livre à ses propres ennemis ? )
Qu’est-ce qui a permis à David de renoncer à la vengeance ?
La raison qu’il invoque lui-même,
c’est qu’il ne veut pas porter la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur.
Saül a été choisi par Dieu pour être roi d’Israël :
David reconnaît cette élection divine,
et au nom de son obéissance à la volonté de Dieu, il veut respecter le roi quoi qu’il en soit.
Ce n’est donc pas par amour de son ennemi que David retient sa main,
mais pour l’amour de Dieu.
Si Saül n’avait pas été l’élu de Dieu, David aurait-il agi ainsi ?
De fait, en bien d’autres récits, on voit qu’il n’hésite pas à mettre à mort ses ennemis.
Ce récit préfigure bien le commandement de Jésus,
mais nous devons donc noter qu’il en est encore assez loin.
Il le préfigure, car David a su renoncer à la vengeance par obéissance à Dieu.
Il en est loin, car David n’a pas conscience que Dieu demande de renoncer à toute vengeance.
Dans l’évangile, Jésus montre en effet jusqu’où Dieu veut nous conduire :
il demande non pas seulement d’épargner son ennemi, mais de l’aimer !
Et pour conduire les disciples jusque là, Jésus va dévoiler le mécanisme du mal.
Jésus repart donc de la loi du talion qui est supposée acquise :
la loi de réciprocité, en effet, relève du bon sens, et Jésus le souligne :
Car même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Même les pécheurs font du bien à ceux qui leur en font.
Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
Mais vous, dit Jésus, aimez vos ennemis,
faites du bien, et prêtez sans rien espérer en retour.
La loi du talion préservait un équilibre ;
Jésus, désormais, appelle à la douceur, au désintéressement, et pour en finir à la gratuité parfaite.
Et donc à une forme de relation totalement déséquilibrée.
Or ce déséquilibre paraît très dangereux.
Si aimer son ennemi est en soi dangereux, le Seigneur va proposer aux disciples d’élargir la relation.
David n’était pas seul face à son ennemi Saül : il agissait par fidélité au Seigneur.
De même, Jésus lui aussi ne nous laisse pas en vis à vis direct avec le prochain :
il nous tourne vers le Père : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
C’est notre Père qui doit devenir la référence de notre relation avec les frères.
Le principe actif de propagation du mal, en effet, c’est la comparaison avec les autres.
La comparaison conduit à la jalousie et à l’envie.
Le mal trouve sa force dans cette tendance à chercher sa vie dans le regard des autres.
La source en est le péché qui coupe l’homme de sa relation à Dieu.
Dès lors qu’un homme se tourne vers Dieu, sa relation aux autres redevient ordonnée.
La relation à l’autre est alors relative ; et même si elle semble déséquilibrée, elle peut rester apaisée.
Car notre sécurité est en Dieu,
notre assurance ne peut pas être dans la bienveillance des autres, seulement dans l’Amour de Dieu.
Seul cet Amour est certain, et il est stable.
Séparé de Dieu, l’homme pécheur est acculé à chercher dans les autres un justificatif à sa vie,
il cherche dans la rivalité ou la fascination un élément de comparaison
pour savoir qui il est, et ce qu’il vaut.
Toute ses relations sont alors désordonnées, déviées, intéressées ou anxieuses.
C’est sur ce terreau de la rivalité que le mal trouve sa force et sa multiplication.
Au contraire, le principe de croissance du bien consiste à donner à Dieu le référentiel de notre vie ;
à puiser ce besoin d’être aimé d’abord dans le débordant et inconditionnel de Celui qui nous a créé.
Notre Père est toute miséricorde.
Si bien que notre vie chrétienne sera d’autant plus remplie de la force d’aimer ses ennemis,
qu’elle est fondée sur l’expérience personnelle et puissante de l’amour de Dieu.
Le chrétien découvre qui il est en recevant le don du Fils de Dieu sur la croix :
Il m’a aimé et c’est livré pour moi ! dira Paul.
Dès lors que notre vie est fondée sur Dieu,
nos relations peuvent trouver le désintéressement et la gratuité ; elles peuvent signifier l’amour.
En réalité, nous ne sommes pas capable de donner sans rien recevoir.
Mais nous pouvons donner sans recevoir de notre prochain
parce que nous recevons tout de notre Seigneur.
Donnez, et l’on vous donnera, c’est-à-dire : Donnez et Dieu vous donnera.
Jésus consacre donc ce qu’on peut appeler le principe de triangulation :
nous ne restons pas seul face aux autres, mais nous nous donnons sans retour à nos frères,
et ce que nous recevons pour aimer, c’est de Dieu que nous l’attendons.
Et c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante,
qui sera versée dans le pan de votre vêtement ;
car la mesure dont vous vous servez pour les autres
servira de mesure aussi pour vous.
Le disciple entre simultanément dans ce double commandement de l’amour,
de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain :
il aime son prochain par l’amour qu’il reçoit de Dieu,
et c’est en aimant son prochain qu’il aime Dieu ;
en obéissant à son commandement.
Alors votre récompense sera grande, dit Jésus,
et vous serez les fils du Très-Haut !
Frères et sœurs, pour résumer :
gardons-nous de rechercher notre vie dans le regard des autres !
Comme le dit Jésus dans le 4ème évangile :
Comment pourriez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres,
et qui ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique ? (Jn 5, 44)
Il y a bien une gloire qui nous est promise : une gloire de résurrection.
Aucun mortel ne peut nous la donner ; aucun de nous ne peut la conquérir seul.
Cette gloire, nous ne la trouvons que par Jésus-Christ.
Le chemin que nous montre Jésus est celui de la miséricorde.
Nous le prenons en nous mettant du coté des pauvres et des pécheurs,
en nous mettant ceux qui ont besoin d’être pardonnés et aimés par leur Seigneur.
Plus la miséricorde de Dieu nous aura touchée profondément, jusqu’au fond des entrailles,
plus nous pourrons à notre tour pardonner et faire miséricorde…
par pur reconnaissance envers notre Père du ciel.