Vivre aujourd’hui en hommes sauvés
Homélie de fr. Jean-Christophe  |
le 25 décembre 2024  |
Texte de l'évangile : Jn 1,1-18

Frères et sœurs, nous l’avons entendu cette nuit : «Aujourd’hui vous est né un Sauveur dans la ville de David» (Lc 2,11). Un sauveur … «Dieu sauve», telle est bien la signification du nom de Jésus. Le salut qu’il apporte est l’ouverture pour nous du Royaume des cieux. La vie éternelle nous est promise. Mais devons-nous limiter le salut à un futur qui n’est toujours pas là, à un dessein divin qui ne se réalisera qu’après notre mort ? Non, frères et sœurs, si le Verbe s’est fait chair, c’est aussi pour nous sauver dès maintenant dans le concret de notre existence. Le salut n’est pas pour demain mais pour aujourd’hui. Alors de quoi Jésus nous sauve-t-il aujourd’hui ?

Je dirais tout d’abord que Jésus nous sauve de la peur de notre humanité. Fondamentalement est inscrite en l’homme une peur de n’être que ce qu’il est. Chaque jour nous butons contre notre condition de finitude. Très vite, nous apprenons que nous ne sommes pas tout. Tant de choses nous échappent. Face à ces limites propres à notre condition, nous pouvons culpabiliser de ne pas changer, de ne pas progresser, de ne pas pouvoir faire plus, … Comme si c’était un péché d’être un homme !

Frères et sœurs, le salut, c’est Dieu dans notre chair, c’est l’infini de Dieu circonscrit dans notre finitude humaine, c’est Dieu qui nous dit : «Tu as du prix à mes yeux et moi je t’aime comme tu es».

Le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14). Dieu n’a rien trouvé de plus extraordinaire que de prendre notre condition de créature pour nous apprendre à aimer ce que nous sommes par nature. L’apôtre Paul l’a compris : «Je me glorifierai de mes faiblesses car c’est lorsque je suis faible que je suis fort.» Notre force, c’est la puissance de Dieu déployée dans notre chair, grâce à l’incarnation du verbe.

La deuxième dimension du salut découle de la première. Dieu nous sauve en nous humanisant. Par nature, nous sommes des êtres de désir. Or il est difficile de vivre comme tels. Nous courrons partout pour investir notre désir dans des objets factices. Et notre société nous fait croire qu’elle peut satisfaire tous nos désirs. Nos besoins sûrement, notre désir sûrement pas. Car fondamentalement, le désir qui habite l’homme n’a pas d’objet. C’est un désir d’infini. Et ce désir est vital pour l’homme car il est comme un creux qui le fait avancer toujours plus de l’avant.

Le Verbe s’est fait chair. Dieu est venu s’asseoir dans notre chair à la margelle du puits de notre désir. Il ne comble pas ce désir, _ ce serait nous déshumaniser _, il le remplit. Dieu dans notre chair, c’est la source de la vie éternelle qui vient à la rencontre de notre désir d’infini. Être sauvé, c’est vivre en paix avec son désir en se laissant conduire non par la convoitise de la chair mais par l’Esprit Saint qui désormais demeure en nous.

Finalement, frères et sœurs, Dieu ne nous sauve pas «de» notre chair. Il nous sauve «dans» notre chair. Le salut, c’est l’homme visité, relevé, recréé, glorifié. S’il est important pour nous de faire mémoire de la naissance de notre Sauveur, c’est pour nous rappeler que le salut est permanent. C’est maintenant que Dieu nous sauve.

Le Verbe s’est fait chair. Dieu a aboli par l’incarnation du Verbe la barrière qui séparait le divin de l’humain. Et sur la croix, il a aboli la barrière du péché qui nous coupait de lui. Dieu ne peut pas se résoudre à ce que l’homme soit séparé de lui. Il a fait de notre chair le lieu de la rencontre. Notre chair n’est plus du côté du péché, elle est du côté de la gloire.

Nous sommes désormais destinés à participer à la nature divine (2P 1,4). Ma vie présente dans la chair, _ c’est-à-dire dans ma condition d’homme _, je la vis, dit Paul, dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi. (Ga 2,20)

Vivre en homme sauvé, c’est laisser Dieu visiter et guérir toutes les dimensions de notre être, c’est choisir ce qui honore l’homme, lui apporte paix et joie. Si quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle. L’être ancien a disparu, un être nouveau est là (1Co 5,17). En fêtant la naissance de notre Sauveur, nous fêtons notre propre naissance à la vie nouvelle en Dieu. Nous fêtons notre salut. Frères et sœurs, vivons en hommes et femmes sauvés !