Comme beaucoup d’entre vous le savent sûrement, nous prenons les repas en silence, lesquels peuvent être accompagnés par de la musique ou une lecture. Il y a quelques années, nous lisions l’autobiographie d’un cardinal éminent. Il faisait cette confidence qu’il n’avait retenu aucun des longs discours qu’il avait entendu à Rome, ce qui est peut-être un peu le cas des homélies… En fait, ce n’était pas tout à fait ça. De tous les discours qu’il avait entendu, il n’en a retenu qu’un seul, celui de mère Teresa. Ce jour-là, il raconte avoir regardé cette petite femme en sari, marchant d’un pas lent, et au regard de feu, s’avancer vers le micro. Puis une fois devant le micro, elle ouvre la bouche et dit : « donnez-nous de saints prêtres ! » Et elle de redescendre simplement sans aucun mot supplémentaire. C’est alors qu’une personne commença à applaudir, et la sidération des cardinaux passée, tout l’auditorium vibra sous les applaudissements. Tout était dit : Soyez saints et rien d’autre ! Le monde a un besoin urgent de non pas seulement de pasteurs, mais de saints pasteurs ! Faites tout ce qu’il faut pour répandre la sainteté dans le monde !
Et c’est bien ce sur quoi insistent les lectures de ce jour. En première lecture, nous entendions Dieu demander à Moïse de dire au peuple d’Israël : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. », en deuxième lecture : « ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » et dans l’Evangile : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Oui, nous ne devons pas nous contenter d’avoir l’ambition de réussir nos études, de tenir nos engagements, de réussir notre couple, notre vie de famille, notre carrière, de vieillir en bonne santé. Toutes ces choses sont bonnes et effectivement désirables. Mais c’est trop peu ! L’ambition de Jésus pour chacun de nous est la sainteté : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. »
Et c’est bien là le problème ! Peut-être pouvez-vous dire comme moi, je vois bien comment il faut faire pour être ébéniste, pour être dentiste, instituteur, pour être boulanger. Mais pour être saint, je ne connais pas d’école. Et puis, la sainteté, vous avez déjà essayé et vous n’y êtes pas arrivé ; du coup, le plus blasés se disent : « ce n’est sans doute plus pour moi car je n’y arrive pas », d’autres se contentent du minimum syndical : « c’est bon, on est là à la messe le dimanche, c’est déjà bien !». Pour ceux qui ont une foi toute fraîche : « si je m’y prends bien, je devrais bien y arriver… ». Et puis il y a tous les autres qui avancent comme ils peuvent… Pourtant Dieu est ferme : En première lecture : Soyez saints ! Dans l’Evangile : Soyez parfaits ! Mais au fait est-ce bien la même chose ? La sainteté est-elle la perfection ? (cf homélie de l’abbé Simon d’Artigue)
Si je les comprends comme équivalent, alors j’ai en effet de quoi désespérer. Car qui oserait honnêtement prétendre être parfait ? Le dicton populaire ne dit-il pas que la perfection n’est pas de ce monde ? Une équivalence entre perfection et sainteté nous ferait dire : « rien ne sert de courir sur la voie de la sainteté, c’est perdu d’avance. » Nous risquons de désespérer, désespérer de Dieu qui m’abandonne à mon imperfection, de nous-mêmes qui n’y arrivons décidément pas, des autres qui sont bien meilleurs ou inversement plus imparfaits que moi et de l’Église qui, sous quelque couture que je la prenne, me semble de plus en plus imparfaite et plus je la connais, plus je la trouve imparfaite.
C’est là qu’il faut prendre conscience que le registre de la perfection renvoie spontanément à celui de la morale, de l’effort, du culte de la performance, de la supériorité et du comparatif. Dans ce cas, « notre vie sous le regard des autres peut vite devenir une vie pour le regard des autres. Alors Dieu est mis hors-jeu. » (P. David d’Hamonville) Mais ce n’est pas ce sens-là que vise Jésus quand il s’adresse à ses disciples. Il vaudrait mieux traduire : « soyez achevés en sainteté, matures dans l’amour, accomplis en miséricorde ». Dieu nous a créé pour aimer comme il aime lui. Oui, « Dieu nous a élus en Christ, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour » (Ep 1, 4). Et il parle bien de nous tous.
Aussi, pour être saint, les textes d’aujourd’hui nous donnent 3 clés :
La première clé, c’est entendre l’auteur de l’enseignement nouveau : « On vous a dit, moi je vous dis » : dans le « on vous a dit » le on, il faut bien comprendre que ce n’est pas seulement Moïse, ce sont tous les autres conseillers qui ont jalonné notre vie, tous ces conseils plus ou moins bon que nous avons reçu. Et puis, il y a le « Moi je vous dis ». Jésus va dans le sens du comble, du dépassement, de l’excès. « Aimez vos ennemis ! » Jésus nous demande, non seulement un renoncement à la surenchère de la violence, mais aussi d’inverser le mouvement : tendre la joue, marcher plus qu’il ne faut, aimer ceux qui te font du mal… Comment ne pas voir ici un parallèle avec sa passion !!! Jésus invite à aimer jusqu’au bout… « Ma vie, personne ne me l’enlève. C’est moi qui la donne ». (Jn 10,18)
La deuxième clé, c’est imiter son pardon. Le psalmiste disait en ce sens : « Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse » (Ps 102). Le Seigneur nous pardonne toujours, sans se lasser. « Le Ressuscité (celui qui s’est fait torturer), est revenu sans rien reprocher aux disciples. Eux se sentent culpabilisés. Jésus : non. Il dit : Paix à vous ! Nous avons été pardonnés. La mort du Christ a déjà valu rédemption de nos fautes. » (P. David d’Hamonville, retraite Flatière)
La troisième clé (ou la première plutôt), c’est accueillir Dieu en nous : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Cor 3,16). Cette sainteté, elle n’est pas de notre fait, elle n’est pas au bout de nos efforts : elle est un don de Dieu, un don qui nous a déjà été fait au baptême. Et la mesure de la sainteté est donnée par la stature que le Christ, lui notre perfection, atteint en nous, par la mesure dans laquelle, avec la force de l’Esprit Saint, nous modelons toute notre vie sur la sienne. (cf Benoît XVI)
Chers frères et sœurs, au final, quel est cet essentiel à retenir ? Nous sommes tous appelés à la sainteté. Une vie sainte n’est pas principalement le fruit de notre effort, de nos actions, car c’est Dieu, le trois fois Saint (cf. Is 6, 3), qui nous rend saints. C’est la vie même du Christ ressuscité qui seule peut nous transformer et nous pousser à aimer semblablement Dieu et notre prochain. On l’aura compris : la sainteté, la plénitude de la vie chrétienne ne consiste pas à accomplir des entreprises extraordinaires, mais à s’unir au Christ, à vivre ses mystères, à faire nôtres ses attitudes, ses pensées, ses comportements.
Aussi ne laissons jamais passer un dimanche sans une rencontre avec le Christ Ressuscité dans l’Eucharistie ; cela n’est pas un poids en plus, mais une lumière pour toute la semaine. Il ne faut pas commencer ni finir une journée sans avoir au moins un bref contact avec Dieu. (cf Benoît XVI)
Ecoutons ce témoignage que Benoît XVI nous a laissé : « Et je voudrais ajouter que pour moi, il n’y a pas que les grands saints que j’aime et que je connais bien qui « indiquent la voie », mais aussi les saints simples, c’est-à-dire les personnes bonnes que je vois dans ma vie, qui ne seront jamais canonisées. Ce sont des personnes normales, pour ainsi dire, sans héroïsme visible, mais dans leur bonté quotidienne, je vois la vérité de la foi. Cette bonté, qu’elles ont mûrie dans la foi de l’Eglise, est pour moi la plus sûre apologie du christianisme et le signe qui montre où se trouve la vérité. » En somme : soyons saints et si vous me le permettez : donnez-nous des saints !
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Dessin : Laurie