Contrairement à Matthieu et Luc, l’évangéliste Marc reste très sobre sur le passage de Jésus au désert. Seulement deux versets là où les autres évangiles synoptiques décrivent trois tentations. En fait, si nous lisons tout l’évangile de Marc, nous verrons que ces tentations y sont bien présentes.
La première tentation concerne le besoin humain de se nourrir. Or la question du manque de pain apparaît à plusieurs reprises dans l’évangile. Les pharisiens reprochent à Jésus de laisser ses disciples se nourrir d’épis de blé arrachés dans un champ un jour de sabbat (Mc 2, 23-28). Puis les disciples sont confrontés deux fois à leur incapacité à nourrir une foule immense et Jésus multipliera les pains et les poissons (Mc 6, 30-44 et 8, 1-10). Cette mise à l’épreuve récurrente aura son somment lors d’une traversée en mer où Jésus s’exaspèrera contre ses disciples en leur posant dix questions coup sur coup : « Pourquoi discutez-vous de ce que vous n’avez pas de pains ? Vous ne saisissez pas encore et vous ne comprenez pas ? Vous avez le cœur dur ? Vous avez des yeux et vous ne voyez pas ? » etc… (Mc 8, 14-21). Jésus a nourri les foules et les restes étaient abondants mais ses disciples ne voient que le manque. C’est auprès d’une femme païenne prête à se satisfaire des miettes qui tombent de la table que Jésus se sentira enfin compris et il guérira son enfant. Non seulement Jésus donne mais encore il donne en surabondance. Plus encore, Jésus se donne lui-même comme pain rompu. Chaque parcelle de pain, chaque miette dit le don de Dieu innombrable et si conforme à l’image des promesses de Dieu en nombre des étoiles dans le ciel et en grains de sable sur le rivage des mers.
Jésus sera aussi tenté dans la puissance de sa parole et de ses actes. De partout, on veut l’approcher, le voir, le toucher, lui demander une guérison. Les grands de ce monde sentent leur pouvoir vaciller devant la renommée croissante de Jésus. Même le roi Hérode s’inquiète : « C’est Jean – le Baptiste – que j’ai fait décapiter qui est ressuscité ! » (Mc 6, 16). Jésus sera consterné de voir ses disciples eux-mêmes s’interroger entre eux pour savoir qui est le plus grand et il leur proposera comme modèle un petit enfant (Mc 9, 33-37). « Qui voudra devenir grand parmi vous sera votre serviteur », dira Jésus prenant le contrepied des grands qui font sentir leur pouvoir. Jusqu’au bout, Jésus se fera l’esclave de tous. Il n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude (Mc 10, 41-45).
Jésus a aussi été mis à l’épreuve dans son obéissance filiale au Père. Paradoxalement, les esprits mauvais en savent beaucoup sur lui : « Je sais qui tu es : le Saint de Dieu », lui dit l’un d’eux avant d’être contraint au silence et d’être expulsé par Jésus car il refusa de se soumettre à sa divinité (Mc 2, 21-28). L’apôtre Pierre sera le premier des Apôtres à confesser Jésus comme le Christ mais un instant plus tard, il refusera d’entendre Jésus parler de sa passion et de sa mort. « Passe derrière moi, Satan ! lui dira Jésus, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! » (Mc 8, 27-33). Pierre ne peut allier messianité et échec humain de la mission de Jésus. Jésus ne sera pas le Messie que Pierre désire. Au terme de l’évangile, le Grand-Prêtre l’interrogera : « Tu es le Christ, le Fils du Béni ? » – Je le suis, répondra Jésus. Et le Grand-Prêtre criera au blasphème en déchirant sa tunique (Mc 14, 61-64). Jusque sur la croix, Jésus sera tenté : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même ! Que le Christ, le Roi d’Israël, descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions ! » (Mc 15, 31-32). Succomber à la tentation serait douter de l’amour du Père. Et une fois mort sur la croix, l’inimaginable deviendra évidence. Un centurion confessera : «Vraiment cet homme était Fils de Dieu.» (Mc 15, 39). La tentation tout au long de l’évangile sera de refuser de la croix. Or celle-ci devient signe dressé sur le monde, signe manifestant qu’humanité et divinité ont fait alliance en Jésus pour sauver le monde.
En ce début de Carême, frères et sœurs, marchons à la suite de Jésus en nourrissant notre lien filial à Dieu, accueillons le don infini de sa grâce qui ne nous fait jamais défaut, croyons en la victoire de la croix, soyons au service les uns vis-à-vis des autres dans l’amour et le don de soi.
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