Une route difficile
Homélie de fr. Benedikt  |
le 17 mars 2024  |
Texte de l'évangile : Jn 11,1-45

Aujourd’hui chers frères et sœurs nous allons lire l’évangile de la résurrection de Lazar. Un changement lié au troisième scrutin de nos catéchumènes. Nous sommes tous appelés à revivre notre consécration baptismale à travers la célébration de la Pâque. Que la célébration de ces scrutins fortifient la volonté des catéchumènes de devenir chrétiens et qu’elle nous rappelle, qu’on peut le devenir tous un peu plus en se laissant toucher par la parole, par l’amour, par l’amitié de Jésus.

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Regardons, chers frères et sœurs, cet évangile comme un voyage d’un bon ami vers un bon ami. Regardons Jésus ému de compassion se mettre en route difficile. Il doit revenir là où il est menacé de mort. Il doit affronter sur sa route non seulement la haine de ses adversaires, ce qu’évoquent ses disciples : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? », mais il doit aussi traverser plusieurs paysages mentaux pour nous rencontrer chacun dans nos maisons. Chacun vit dans son monde. Chacun chérit son espoir, chacun a ses illusions, chacun est quelque part mort et attend un sauveur. Jésus marche en dialoguant avec ses disciples, avec Marte, avec Marie, puis curieusement avec Lazar, gisant dans le tombeau depuis trois jours. Il parle aux habitants des mondes secrets que nous portons tous en nous.

Le premier passage, le premier paysage, ce serait alors le monde de l’apôtre Thomas. Jésus y rencontre une pensée sombre et fataliste. Quand Jésus dit ouvertement à ses disciples : « Lazare est mort, … mais allons auprès de lui ! », Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! » Ce monde là, la tradition biblique l’appelle Shéol et son mot d’ordre, son manifeste, dit: « Allons-y, nous aussi, pour mourir ! » Ce monde-là, Jésus le rencontre comme par défaut. Il est partout, même s’il essaie de se déguiser ou de disparaître de notre regard. C’est un monde de l’absence totale de l’espérance. Ce monde des morts est le premier dont Dieu veut nous faire sortir. Non pas par une absence de la mort, mais par sa présence dans la perspective de la mort. Non pas par un monde sans la mort, mais par un monde sans une pensée mortifère, sans espérance. Alors Jésus invite ses disciples à le suivre sur le chemin de la vie. Il leur dit ouvertement : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez.»

Le second monde, lui aussi, est marqué par une pensée qui accentue l’absence de la vie. Mais c’est une absence relative. C’est le monde de Marthe et de Marie que Jésus rencontre à Béthanie. Le monde le plus commun de nos mondes, celui de l’espoir déçu. Son mot d’ordre est : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Je dirais que c’est un monde des vivants qui espérait ne pas mourir. Il y a un « si » : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Si tu avais été ici… L’absence de la vie tant espérée ! «Je sais que Dieu existe et qu’il exauce le juste», dit Marthe … mais ici tu nous as manqué… Alors Jésus nous dit : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? ». À nous de répondre avec Marthe désormais croyante « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »

Avec Marthe Jésus doit passer encore un paysage avant d’arriver chez Lazar. Et ce troisième monde est aussi celui des catéchumènes et de l’Église ! Marthe porte en effet à sa sœur Marie une parole de vie. Cela représente le monde en transformation évangélisatrice. Son mot d’ordre ? « Le Maître est là, il t’appelle » Voilà ce que dit l’Église : Le Maître est là et il t’appelle. Par la voix de l’Église, il appelle ton espérance et ta foi. Lazar sera appelé de son tombeau par une voix forte de Jésus. Marthe invite Marie tout bas, par les paroles dites à l’oreille. Oui, chers frères et sœurs, c’est ainsi qu’on parle de la foi dans ce monde. Appelés aller à la rencontre de l’ami, sans être complètement en sa présence. Déjà mélangé à ce monde nouveau qui vient presque d’arriver dans notre maison, mais en attente encore de la liberté finale. À cheval entre les deux … Ce monde presque nouveau est donc celui de notre Église en mission. Sa voix est une voix destinée à l’oreille de ceux qui souffrent de l’absence de Dieu. L’Église dit à travers des siècles à l’oreille du monde : Le Maître est ici et il t’appelle !

Il existe encore le quatrième monde, celui du Lazar. Il est silencieux. Il n’a pas son mot d’ordre. Lazar ne peut plus rien dire par lui-même et si un homme l’appelait, il ne répondra plus. C’est alors précisément en lui que la voix de Dieu résonne avec d’autant plus de vigueur ! Jésus cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » « Il sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. » La liberté. Sommes-nous capables, chers frères et sœurs, de vivre à ce niveau de la foi ? Croire que notre vraie liberté, notre vraie vie, avec toute son impuissance est appelée à la résurrection ? Quelle est désormais cachée avec le Christ ressuscité en Dieu ? « Déliez-le, et laissez-le aller. » Lazar, chers frères et sœurs, chers catéchumènes, ne vit désormais que par la Parole de Jésus, son ami. À la parole du Christ il sort du monde de la fatalité et de l’incrédulité, de ce tombeau que Jésus est venu illuminer par sa présence !

Laissez-le aller. Il ne se perdra plus, il est conduit :

« Moi, je suis le bon pasteur, dit Jésus ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, … elles écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, et personne ne les arrachera de ma main. Je les appelle chacune par leur nom, et je les fait sortir. Elles pourront entrer ; elles pourront sortir et trouver un pâturage. »